S'insurger contre la ferveur consumériste qui accompagne les fêtes de Noël est un sport olympique.

Nombreux sont ceux qui diabolisent toutes ces stratégies de marketing mises en place par l'industrie pour radicaliser les consommateurs, jusqu'à en amener certains à se battre ou à marcher sur les faibles qui se sont effondrés avant de mettre la main sur un ordinateur portable, un iPad ou un jeu vidéo à moitié prix.

C'est pendant le temps des Fêtes qu'on réalise clairement que la consommation est aussi une religion avec ses adeptes et ses célébrations, dont le Vendredi fou, la Saint-Valentin, le Boxing Day, le Cyber Monday et autres jours de culte que l'industrie ne cesse d'inventer pour recruter des fidèles. La cathédrale ici, c'est le centre commercial, et on achète comme on prie : pour se faire du bien et calmer ses angoisses existentielles.

L'argent, ce grand tabou dont, paraît-il, on ne veut pas parler au Québec, est au centre du culte.

Je suis d'ailleurs très surpris d'entendre régulièrement dire que le rapport amour-haine que les Québécois entretiennent avec l'argent s'explique par l'empreinte laissée par l'Église sur l'ADN de la population avant la Révolution tranquille.

Cet argumentaire toujours répété n'est peut-être pas la seule explication. Pour cause, si ce phénomène s'explique uniquement par la religion, pourquoi les Haïtiens et bien des Latinos, qui sont aussi, sinon plus catholiques que ne l'étaient les Québécois, n'ont pas ce rapport amour-haine avec l'argent et la réussite financière ?

La deuxième raison qui me pousse à ne pas adhérer totalement à cette explication est que l'Église n'a jamais détesté le pognon. Si elle disait aux autres que l'argent ne faisait pas le bonheur, c'était pour mieux les convaincre de lui confier cette source potentielle de malheur. Rappelons que pour faciliter son passage vers le paradis, l'Église catholique romaine proposait autrefois à ses fidèles d'acheter des indulgences. Des sortes de prières qui permettaient de « by-passer » la populace sur les longues lignes qui mènent au paradis, comme le billet de première classe accélère les formalités douanières à l'aéroport. Pas besoin de te taper la file qui mène au tourniquet quand tu as une passe backstage.

Je crois que si les Québécois avaient traditionnellement ce rapport amour-haine avec l'argent et le succès financier ostensible, c'est en partie aussi pour une autre raison. Pour le francophone d'il y a bien longtemps, le succès financier était indéniablement associé à une obligation de parler anglais et de collaborer étroitement avec la force dominante. Celui qui exhibait sa richesse était donc probablement vu comme un traître qui avait comploté avec l'ennemi pour gravir l'échelle sociale. Bref, il était soupçonné d'avoir pactisé avec le côté obscur de la force pour faire fortune. Comme quoi l'Église n'est pas loin là non plus.

Mais, si j'écris sur ce sujet cent fois éculé, c'est pour dire un peu de bien sur la frénésie mercantile du temps des Fêtes. Je crois, en effet, que Noël est la seule fête qui oblige encore à prendre le chemin pour aller voir et échanger des cadeaux avec la parenté.

La seule à nous rappeler, surtout depuis l'explosion des réseaux sociaux, que c'est le pied, et non le téléphone ou le clavier d'ordinateur, qui trace le chemin de la parenté et de l'amitié. On n'a jamais été aussi isolés les uns des autres que depuis qu'on est connecté. Je crois même que bien des gens qui se disent branchés sont vraisemblablement de simples mouches prises sur la toile. Quand on les aura débranchés, ils réaliseront peut-être qu'ils ont oublié comment respirer par eux-mêmes.

C'est pour ça qu'il m'arrive parfois de penser qu'on est chanceux que l'industrie de la consommation ait remplacé l'Église en favorisant encore ces rassemblements. Je ne suis pas certain que les curés auraient réussi à imposer ces pérégrinations sur les routes enneigées du Québec dans le seul but d'aller fêter l'anniversaire de Jésus en famille. Mais lorsque tu as 800 $ de cadeaux dans la valise de ta voiture, la motivation est plus concrète.

Si on enlevait ce gigantesque et inventif travail de radicalisation, fait par l'industrie incluant les publicités, les pères Noël, les décorations et autres leurres sensoriels, je parie que les familles Facebook seraient bien plus célébrées à Noël que les véritables liens de sang.

Tenez, signez, ceci est un colis livré pour vous ! Telle est la devise de cette nouvelle religion qui connaît une fulgurante expansion planétaire.

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