Pour des raisons plus sociales que biologiques, depuis que j'ai une maison en banlieue, j'arrache mes pissenlits.

C'est inexplicable, mais je suis habité par l'étrange impression qu'avoir un gazon plein de pissenlits, c'est comme arborer un t-shirt taché de sauce à spaghetti. Aussi, pendant que mes voisins me surveillent, entre mon regard de biologiste qui veut le protéger et la responsabilité de m'occuper de mon gazon, mon coeur balance. Pourquoi ? Je vous raconte.

Le pissenlit, que nous traquons sur nos pelouses, est un immigrant lointain des plaines de l'Eurasie.

Il est arrivé en Amérique avec les Européens et a choisi de s'installer sur nos pelouses pour la même raison que les immigrants italiens posaient majoritairement leurs pénates dans la Petite Italie ou que beaucoup de Madelinots qui débarquaient à Montréal choisissaient Verdun.

Rongée par la nostalgie de la terre natale, la petite fleur jaune a trouvé son ghetto dans nos platebandes bien ensoleillées qui lui rappellent sa steppe natale. Or, ce choix de vie ne fait pas toujours sourire les intégristes du gazon immaculé qui n'ont pas tardé à le déclarer persona non grata.

PAS BESOIN DE TONDEUSE

À un de ces disciples de la pelouse unicolore de Rimouski, j'ai déjà proposé écologiquement d'acheter une chèvre pour remplacer sa tondeuse. « Il y a deux avantages à faire tondre le gazon par une chèvre, lui ai-je dit. Le premier, c'est qu'à la fin de l'été, tu pourrais manger cette tondeuse biologique avec ta famille. Le deuxième avantage, c'est qu'en même temps qu'elle broute le gazon, la chèvre le fertilise avec ses pilules. »

C'est comme ça qu'on appelait le crottin de chèvre dans ma jeunesse. D'ailleurs, il y a un proverbe chez moi qui dit que « ce n'est pas parce que la chèvre fait des crottes en forme de pilule que ça lui donne le droit de se prendre pour une pharmacienne ».

À mon avis, il y a deux façons de cohabiter avec le pissenlit. La première, c'est de vouloir le tirer par la queue pour mieux le faire disparaître, comme nous sommes nombreux à le faire.

Si vous êtes adepte de cette méthode, je dois vous rappeler que l'autre nom du pissenlit, c'est la dent-de-lion. Et un lion a beau être édenté, sa tanière ne sera jamais un lieu de villégiature pour une gazelle. En fait, il y a deux articles consacrés au lion dans la sagesse de mon grand-père. Pendant que l'article 1 enseigne qu'il ne faut jamais jouer à attraper la queue d'un lion, l'article 2 stipule : « Si vous avez violé l'article 1, accrochez-vous ! » De la même façon, si vous pensez gagner la guerre contre le lion de pelouse, accrochez-vous solidement.

COEXISTENCE

L'autre façon de coexister avec le pissenlit, c'est de le regarder avec les yeux d'un enfant. Ce sont d'ailleurs souvent les premières fleurs que les enfants offrent à leur maman. Et comme tous les gamins, les miens ne peuvent résister à l'idée de souffler sur les parasols blancs qui transportent les semences de pissenlit sur les pelouses des voisins qui se croyaient immunisés.

Le camp anti-pissenlits avec lequel je sympathise parfois gagnerait donc à comprendre que sa guerre de tranchées dans les platebandes est perdue d'avance puisque nos propres enfants pactisent avec l'ennemi.

Troisièmement, pour ceux qui envisagent de signer l'armistice avec le pissenlit, je propose le beau et instructif bouquin de la biologiste Édith Smeesters, intitulé Hommage aux pissenlits. Vous y trouverez mille et une raisons d'aimer cette plante qui n'a rien à se reprocher.

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