En Occident, la mythologie et la philosophie grecques sont sacrées. S'il y a une explication qui trouve son origine dans la Grèce antique, même l'idée la plus banale se transforme en théorème mathématique incontestable. Encore aujourd'hui, bien des gens s'identifient à des savants ou les appellent en renfort, même si la plupart n'ont raconté que des conneries de leur vivant.

Mais de tous les philosophes grecs, celui qui compte encore le plus de disciples est certainement Épicure. On est « épicurien » quand on boit du vin à 100 $ la bouteille ou lorsqu'on accepte de perdre la peau des fesses pour déguster un caviar d'exception. Bref, quand mordre dans la vie - mais surtout dans la bonne chère - à grandes dents devient une façon de vivre, le nom d'Épicure n'est pas très loin.

Si j'ai inséré le mot épicurien entre guillemets, c'est parce qu'Épicure n'a jamais été cet hédoniste qu'on raconte dans les milieux branchés. Pour amoindrir la souffrance humaine, Épicure enseignait plutôt de miser sur l'amitié et les plaisirs gratuits, mais surtout de se méfier des grandes passions, des excès et des ambitions démesurées. Il recommandait aussi vivement de chasser nos craintes, et plus spécifiquement nos peurs des divinités de toutes sortes qui sont censées intervenir et contrôler nos vies. Épicure est donc probablement le philosophe grec qui se retourne le plus souvent dans sa tombe à force d'être mal cité !

Être bon mangeur, bon buveur, fumeur de cigares et collectionneur de voitures de sport, rappelle Michel Onfray, est une définition triviale de l'épicurisme.

Pourtant, le véritable enseignement d'Épicure s'inspire davantage de l'amour de l'ordinaire que du goût pour le luxe.

Le philosophe Jean-François Kahn de rajouter qu'Épicure, ce n'est pas la dégustation des meilleurs vins, mais le plaisir infini que procure un verre d'eau fraîche ingurgité quand on a vraiment soif. Loin d'être cet hédoniste et penseur du ventre, c'était plutôt un sage qui enseignait que le chemin du bonheur passe avant tout par la capacité de bien faire la différence entre les désirs de l'esprit et les besoins du corps.

Alors, à tous les amateurs de bonne chère qui se décrivent souvent comme épicuriens dans les émissions et sur les terrasses à la mode, il faudrait demander de laisser l'âme du sage grec reposer en paix. Si vous cherchez un qualificatif branché et qui s'inspire de la même tradition, mon ami Rachida Azdouz pense que vous êtes plus proches du libertinage de Diogène que de la sagesse et de la retenue d'Épicure. Vous êtes plus des « diogèniens » que des épicuriens.

Monsieur Hà avait la sagesse d'Épicure

Cette chronique était un prétexte pour saluer aussi la mémoire d'un grand chef, et figure incontournable de la cuisine vietnamienne, qui vient de nous quitter subitement, le mardi 12 mai. Son nom était Hong Hà Nguyen, mais on l'appelait « Monsieur Hà ». Né au Viêtnam, Monsieur Hà est arrivé au Québec dans les années 80. Il était non seulement une référence de la cuisine vietnamienne, mais aussi l'un de ses plus grands ambassadeurs. Seul Monsieur Hà pouvait émouvoir quelqu'un en parlant des herbes utilisées dans la cuisine de son enfance.

Le Québec a perdu un homme qui l'aimait profondément et chantait sa joie de vivre ici. Quant à moi, ses messages qui parlaient toujours d'ouverture, de tolérance et de bonté du coeur vont me manquer.

Merci d'avoir un jour croisé mon chemin !

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