Mon père, qui avait un grand amour pour l'éducation, nous disait souvent que les enseignants étaient les gens les plus importants dans notre société. À chaque début d'année scolaire, il prenait le temps de rencontrer nos enseignants pour ce qu'il appelait un transfert des compétences et des responsabilités parentales.

«Vous n'avez pas besoin de mon autorisation, leur disait-il, pour les amener sur le droit chemin de l'éducation». C'était à l'époque où les parents apprenaient aux enfants à marcher et à parler et les enseignants leur apprenaient à s'asseoir et à fermer leur gueule, comme le dit si bien mon ami François Léveillée.

Quand on travaillait dans les champs d'arachides et que mon père voyait l'enseignant du village passer avec sa bicyclette, il arrêtait la besogne et allait le saluer avec les honneurs dignes d'un cortège présidentiel. Jusqu'à aujourd'hui, papa me parle des enseignants qui avaient su catalyser ma passion pour l'école. Il se rappelle de mon maître d'école à la fin du primaire qui, un jour, l'avait fait venir pour lui dire: «Avec ses problèmes de motricité, je voudrais, monsieur Diouf, qu'on travaille ensemble à faire comprendre à Boucar qu'on peut sauter plus haut et courir aussi vite que les autres en musclant son cerveau plus que ses jambes.»

Aujourd'hui, mon paternel a 90 ans et sa plus grande fierté, quand je retourne au Sénégal, c'est de dire à tout le monde que je suis enseignant au Canada.

C'est pour ça que j'hésite encore à lui annoncer officiellement que j'ai échangé les salles de cours pour des salles de spectacles. Ça lui fendrait le coeur, lui qui nous répétait souvent que notre avenir dépendait plus de nos enseignants que de nos deux parents analphabètes.

Dans chaque grand homme, disait-il, il y a l'empreinte d'un enseignant qui a su catalyser une passion dans le coeur d'un enfant ou d'un adolescent. Une juste vision qu'on semble oublier dans nos sociétés dites modernes, où pourtant les enseignants passent plus de temps avec les enfants que leurs propres parents.

Renforcer les fondations

Pour redonner de la fierté aux enseignants, il faut d'abord commencer par entendre leurs préoccupations. Si on avait écouté leurs inquiétudes pendant la mise en place de la dernière réforme scolaire, on n'en serait pas à ce constat d'échec rapporté dans une étude de l'Université Laval.

Je me souviens d'avoir avancé une définition de la réforme devant les directions des commissions scolaires réunies au château Vaudreuil, qui décrivait assez bien le fouillis dans lequel bon nombre d'enseignants étaient plongés au début de son application. «La réforme, leur avais-je dit, c'est une improvisation nationale dans laquelle une hiérarchie verticale réclame des compétences transversales à des enseignants qui tournent en rond pendant que les concepts prennent la tangente.»

On n'a pas besoin d'être un spécialiste de l'éducation pour savoir que ce n'est pas en augmentant le nombre d'élèves par classe et en majorant de 10% leur temps de travail, sans aucune compensation financière, qu'on revalorisera cette profession déjà maigrement payée. La sauvegarde de l'éducation à chance égale qui nous tient à coeur, mais qui semble loin d'être la priorité du gouvernement, passera par une solidarité des parents avec les enseignants. C'est la seule façon d'éviter que l'avenir du Québec qu'ils portent lourdement sur leur épaule ne s'écroule.

L'éducation est le fondement de notre édifice social et on ne pourra s'élever très haut qu'en renforçant, et non en fragilisant, les fondations. Autrement dit, si on veut espérer une belle récolte à la fin de l'été, il est illogique de s'acharner sur le jardinier qui arrose et s'occupe des jeunes pousses.

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