Pourquoi devrais-je dire à mon fils qu'il est Sénégalais avant d'être Gaspésien, comme si l'identité ne pouvait être que racinaire? Je lui ai toujours enseigné qu'il était avant tout un Québécois, mais que s'il le désire, il pourra aussi être Sénégalais, parce que l'identité c'est un peu comme les amis: on peut en avoir plusieurs. Si je tiens à ce qu'il exprime sa fierté d'être Québécois, c'est pour lui éviter cette fréquente errance identitaire, qui peut se transformer en ambiguïté existentielle chez la deuxième génération. Ceux qui sont nés et ont grandi au Québec, mais se définissent d'abord, et parfois uniquement, par le pays d'origine de leurs parents.

Même si je tiens solidement à mes racines sénégalaises, c'est au Québec que poussent mes branches, et les fruits que j'y produis tiennent davantage de ces ramures que de mes racines. En n'ayant que le Sénégal à la bouche, je transmets à mes enfants ma nostalgie d'un pays dont ils savent encore peu. Un pays qui n'est pas entièrement le leur! L'écrivain franco-tunisien Albert Memmi disait: «Pour les enfants d'immigrés, il n'y a pas de retour possible puisqu'ils ne sont pas partis. Et lorsqu'ils leur arrivent d'aller dans le pays de leurs parents, ce n'est pas un retour, c'est un voyage de découverte...»

Il existe une recette bien éprouvée pour perpétuer cette hérédité de l'identité. Commençons par en énumérer les ingrédients. D'abord, ça prend une société multiculturelle et communautariste, semblable à ce qu'on retrouve dans certaines grandes villes canadiennes. Une fois les communautés bien emmurées dans leur citadelle, il ne reste qu'à alimenter les forteresses ethno-religieuses avec des immigrants à l'employabilité et au potentiel d'intégration incertains. Les sentiments d'exclusion, d'injustice sociale et de discrimination à l'emploi ne tarderont pas à se pointer. Or, la fierté et l'enracinement dans un nouveau pays sont rarement au rendez-vous quand des déplacés sans travail baissent honteusement les yeux devant leurs enfants.

Lorsque l'intégration de cette première génération est compromise, certains parents, frustrés d'avoir vu s'éteindre la lumière qui alimentait leurs rêves d'expatriés, refilent leur grosse valise remplie de nostalgie à leurs enfants. En vieillissant, ces petits nés à Montréal, Laval ou Longueuil, se définissent alors comme Marocains, Haïtiens ou Algérien avant de se dire Québécois. 

Pourtant, une fois dans ce pays lointain, le choc culturel se charge souvent de leur rappeler qu'ils y sont plus des visiteurs que des résidents. Un désenchantement qui vient souvent du fait que cette culture, que les parents ne cessent de magnifier, n'est qu'un statique et lointain souvenir d'une patrie qui s'est métamorphosée après leur départ. Distancés par leur culture d'origine et incapable de s'enraciner dans leur terre d'accueil, ils intègrent alors la grande diaspora des apatrides, pour qui le sacré intemporel devient parfois un bouclier protecteur et un puissant outil de contestation identitaire.

Le Québec cherche secrètement des alliés identitaires. Il espère accueillir des étrangers sensibles à son statut de village gaulois dépourvu de potion magique. Le Québec cherche des gens prêts à participer à la sauvegarde de ses acquis et au renforcement de ses fortifications culturelles, difficilement acquises et qui peuvent céder en tout temps. 

Or, pour transformer une simple cohabitation en une vraie complicité, il faut du temps et une sincère et réelle volonté de part et d'autre. Le Québec gagnerait donc à investir davantage dans les organismes qui travaillent à paver le chemin d'accès à la langue, à la culture et à l'emploi, et par conséquent à l'intégration des immigrants. J'ai eu la chance de travailler avec ces entremetteurs culturels de première ligne aux quatre coins de la province, et le manque de moyens se fait malheureusement souvent sentir.

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