Il y a quelques semaines une simple panne dans les réseaux Instagram, Facebook, WhatsApp et Messenger a provoqué une secousse planétaire.

De petits problèmes de fonctionnement temporaires ont réussi à semer une énorme panique chez les toujours branchés, qui, forcés de lâcher prise, ne savaient plus quoi faire de leurs mains et de leur temps. D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup le concept de lâcher-prise et ça n'a rien à voir avec mon amour de la pêche. Si ce concept me rebute, c'est parce qu'on n'a justement jamais été aussi branché que depuis que les appareils sont sans fil et que les prises ont pris le bord.

Je ne veux aucunement faire une chronique moralisatrice sur internet dont je suis un utilisateur modéré. Je veux juste dire pourquoi j'entretiens une relation amour-haine avec ce gigantesque marché aux puces planétaire. En dehors des dérives de ses réseaux sociaux qui font beaucoup de dommages individuels et collectifs, c'est l'apologie du vide qui y abonde qui me fait surtout peur. Oui, il y a sur le Net une grande plus-value pour l'humanité, mais force est d'admettre qu'il est devenu aussi un énorme happening mondial des gnochons, niaiseux, épais, tarlas, colons, caves, tatas, totons et innocents, sans distinction de pays, de race ou de religion.

Cela dit, je dois malheureusement confesser que cette légèreté sans précédent me fascine aussi. Oui, la sociologie de « starlettisation » du vide qui abonde dans la Toile m'impressionne.

Quand on y pense, il faut traiter avec respect ceux qui réussissent à devenir de très riches célébrités planétaires en ne vendant que du vide. Les rares fois où le capitalisme réussit à monnayer l'absence de quelque chose d'intérêt, c'est souvent dans l'industrie alimentaire où le sans gras, sans sel ou sans sucre ajouté imposent au client de casquer un peu plus. Or, sur la Toile, ce commerce du vide rapporte des millions à ceux qui savent s'y prendre.

Si la Toile exploitait une partie bien primitive du cerveau humain ? Voilà une question que je me pose parfois. Pour cause, la grande majorité des évènements qui y sont très populaires sont des productions qu'aucun directeur de programmation sensé d'une chaîne de télévision n'aurait imaginés présentables. La plupart des posts qui cartonnent sont des histoires qui peuvent être comprises par des enfants de 5 ans. Écouter des bruits de bouche d'un mangeur ; regarder quelqu'un s'empiffrer ; les vidéos d'enfants vivant toutes les émotions. Pour compléter cette liste qui n'a rien d'exhaustif, il y a évidemment les mises en scène d'imbécillités de tout ordre, y compris les cassages de gueule et les prises de risques inutiles qui doivent certainement stimuler chez nous une partie de notre cerveau très primitif.

Ah oui ! J'ai failli oublier les vidéos de chats.

Pour le succès des vidéos de minous sur la toile, Konrad Lorenz l'aurait certainement vu venir. Cet éthologiste autrichien, lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine de 1973, racontait que les humains sont attirés et émus par les délicates créatures aux yeux ronds qui poussent des petits cris semblables à ceux de leurs poupons et qui paraissent aussi vulnérables qu'un bébé humain. Le blanchon et le chat répondent à cette définition. Cette théorie de Lorenz est prouvée quotidiennement sur YouTube par le chat qui joue du piano, le chat habillé en bébé ou le chat qui fait du karaté contre le chien. Je pense même que si les ordinateurs sont pleins de puces, c'est parce qu'ils sont surpeuplés de chats.

L'absence totale de balise entre le bon, d'une part, et la connerie dans sa pure définition, d'autre part, a accouché naturellement de cette grande et lucrative industrie du vent. 

Combien de temps durera cette culture de l'inculture ? Quel effet aura-t-elle sur les jeunes quand on sait que la plupart des gens qui se disent très branchés ressemblent bien plus à des mouches prises sur la toile ?

Lorsqu'on nous débranchera, peut-être que nous réaliserons que nous avons oublié comment respirer par nous-mêmes, et n'aurons plus d'autre choix que de constater notre mort cérébrale sur le moniteur. Il faudra alors nous lever de nos fauteuils roulants si souvent stationnaires et réapprendre à marcher jusqu'à l'autre.

Il faudra, un jour, cesser de taper sur nos fenêtres trop souvent ouvertes pour aller frapper aux portes trop souvent fermées des voisins. Ce faisant, nous serons alors certains de faire plaisir à la personne qui ouvrira, car comme le dit la sagesse populaire : « Une visite fait toujours plaisir. Si ce n'est pas en arrivant, c'est en partant. »

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