C’est une déclaration qui pourrait étonner en Iran et dans d’autres pays où les femmes sont forcées de porter le voile. Aux yeux de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), le voile serait « vraiment badass ». Tellement que sa présidente incite les Québécoises à le porter lors d’une manifestation mardi prochain.

Ainsi, la FFQ ne se contente plus de simplement plaider pour l’autonomie, la tolérance et l’inclusion. Elle fait désormais la promotion du voile.

À elle seule, cette étrange déclaration illustre à quel point notre débat presque obsessif sur le voile n’en finit plus de déraper.

On le sait, le voile divise profondément les féministes québécoises. Certaines déplorent que la loi sur la laïcité touche avant tout les femmes musulmanes et défendent le libre choix. D’autres féministes répliquent que le voile asservit la femme et doit donc être combattu.

Mais peu importe où on se situe dans ce débat, une chose paraît indéniable : la FFQ vient de changer sa position. Elle s’immisce désormais dans un débat qui divise les musulmans, en disant que le port du voile est un choix non seulement légitime, mais également souhaitable.

Auparavant, la FFQ défendait le droit des femmes de s’habiller comme elles veulent en soutenant qu’elles sont les mieux placées pour savoir ce que signifie leur voile. Différentes femmes se voilent pour différentes raisons, rappelait avec justesse la Fédération. En outre, elle déplorait que l’obsession sur le voile contribue à ostraciser celles qui le portent.

Sa présidente, Gabrielle Bouchard, accuse le gouvernement caquiste de dire aux femmes quoi porter et de décider à leur place ce que signifie leur voile. Or, sur ce deuxième point, elle fait ce qu’elle reproche aux caquistes.

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La présidente de la FFQ, Gabrielle Bouchard

Pour le comprendre, imaginons une jeune femme qui subit de la pression de son père ou de son mari pour se voiler. Mme Bouchard lui envoie un étonnant message : le voile, c’est badass, même certaines féministes le portent !

Pour être clair, on ne prétend pas savoir ce qui se passe dans la tête des femmes qui se voilent. On ne décidera pas à leur place ce qui signifie leur voile. On n’avance pas non plus que la majorité d’entre elles subissent des pressions pour le porter.

À tout le moins, on peut dire que ces causes peuvent fluctuer et que cela devrait inciter à la prudence.

En 1944, Sartre écrivait que c’est l’antisémitisme qui fait le juif. Cela vaut aussi aujourd’hui pour les propos antimusulmans. L’intolérance envers eux renforce leur sentiment d’exclusion. S’ils ne sentent plus appartenir à la société québécoise, ils se replieront sur leur communauté religieuse. Le voile risque ainsi de devenir d’abord un symbole identitaire. Une façon de dire : vous me rejetez, alors je revendique fièrement ma différence.

Peut-être Mme Bouchard voulait-elle récupérer ce sentiment de défiance en associant le voile à une critique du gouvernement Legault.

Mais elle aurait dû se garder une petite gêne pour ne pas nuire à celles qui veulent s’émanciper du voile au nom de leur propre vision du féminisme.

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« Il y avait moyen de trouver un meilleur équilibre entre la condamnation et la promotion enthousiaste », conclut notre éditorialiste.

La FFQ n’est pas la seule à errer dans la promotion de symboles qui peuvent avoir une signification sexiste. Un autre exemple : l’année dernière, la Commission canadienne des droits de la personne déposait son rapport annuel avec en première page une fillette qui porte le voile. Comme si avant même sa puberté, une fillette pouvait adhérer librement à une religion et choisir de cacher ses cheveux pour ne pas les sexualiser. Une contrainte qui, bien sûr, ne sera jamais imposée à son frère.

On peut comprendre que la FFQ ne veuille pas relayer les critiques du voile pour ne pas stigmatiser celles qui le portent. On comprend aussi tout à fait qu’elle fasse la promotion de la tolérance, de la diversité, de l’inclusion et de l’autonomie des femmes.

Ce qui est plus difficile à justifier, toutefois, c’est que la FFQ célèbre avec tant d’enthousiasme un symbole qui peut être associé au sexisme religieux. Et qu’elle le fasse en intervenant dans un débat entre musulmans en appuyant la position la moins permissive pour les femmes. Il y avait moyen de trouver un meilleur équilibre entre la condamnation et la promotion enthousiaste.

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