Imaginez un autre lendemain de veille référendaire au Québec en 1980, avec René Lévesque en prison, tout comme Jacques Parizeau, Bernard Landry et d’autres piliers du camp du Oui.

C’est un peu ce qui est en train de se passer en Catalogne alors que neuf leaders indépendantistes catalans ont été condamnés à la prison pour « sédition » et « détournement de fonds ». Leur crime : avoir consulté leur nation sur son avenir.

Bien sûr, il y a de très nombreuses différences politiques et juridiques entre la Catalogne et le Québec : la Constitution espagnole proscrit explicitement la sécession, le référendum de 2017 n’était pas reconnu comme légitime par le gouvernement central, et le taux de participation n’a été que de 43 % à cause du boycottage du camp du Non.

Reste qu’à l’époque, il y avait quelque chose de profondément choquant à voir l’armée espagnole frapper des électeurs et confisquer des boîtes de bulletins de vote. Et aujourd’hui, il est tout aussi choquant de voir le sort réservé aux organisateurs du référendum : des peines de prison de 9 à 13 ans.

La prudence commande de se garder une petite réserve avant de commenter la politique interne d’un autre pays. À cause de notre point de vue d’étranger, notre compréhension est forcément limitée. Par exemple, à Madrid, la peine a été applaudie – même la gauche souhaitait la prison pour les politiciens catalans. Des observateurs y voient des relents du franquisme anticatalan. D’autres soutiennent au contraire que c’est justement pour éviter le retour aux violentes divisions du passé que les Espagnols veulent que leur pays soit « indivisible », comme le précise leur Constitution.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ASSOCIATED PRESS

Des manifestants indépendantistes, hier à Barcelone, lors d’une journée de mobilisation au sujet de l’avenir de la communauté autonome espagnole.

En Europe, les chefs d’État refusent de dénoncer Madrid. Sans doute par crainte de froisser un allié en s’ingérant dans ses affaires internes, et aussi par crainte d’alimenter les mouvements autonomistes chez eux. La réaction du Canada ne détonne donc pas de celle de la communauté internationale.

Après le référendum en 2017, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland soutenait que la solution devait respecter « la primauté du droit et de la Constitution espagnole ».

Or, c’est justement ce légalisme obstiné qui a aggravé la crise. Pour Madrid, le respect de l’État de droit a pris la forme d’une matraque brandie contre ceux qui veulent avoir un mot à dire sur leur avenir. Cautionner cela, ce n’est pas très canadien non plus.

D’ailleurs, le gouvernement libéral a moins pesé ses mots au sujet des agitations à Hong Kong. Le premier ministre Justin Trudeau a récemment pris la peine de souligner à Pékin « la nécessité de faire preuve de retenue et de rejeter toute violence ». Il aurait pu adopter la même approche avec la Catalogne.

Vrai, le référendum interne en Catalogne était téméraire, mais méritait-il vraiment une peine si forte ? La sagesse aurait commandé de trouver il y a longtemps un équilibre entre le droit et la politique. Mais au lieu de négocier avec les Catalans, le gouvernement central a préféré les écraser. Et même défaire les gains obtenus en 2006 et en 2010 pour plus d’autonomie.

Pour un Québécois, il est particulièrement difficile de rester insensible. Comme l’a souligné le premier ministre François Legault, « l’intimidation institutionnelle et la violence ne sont pas des solutions ».

Il a dit espérer une « solution négociée et juste ». L’influence de M. Legault sera particulièrement faible, mais il a tout de même le mérite d’avoir trouvé les mots justes.

Il n’est pas le seul dans son camp. Le printemps dernier, un groupe de travail de l’ONU concluait que la détention provisoire de certains des accusés était « arbitraire ». On sait maintenant que leur séjour se prolongera de quelques années.

Ce qui est en jeu, c’est l’impression de politisation de la justice espagnole, de son peu de respect pour des principes comme l’immunité parlementaire, et enfin, de la violence étatique qui enflamme une crise qu’elle prétend éteindre.

On le voit dans les rues depuis quelques jours : si le plan était d’étouffer le mouvement indépendantiste, cela n’a pas très bien fonctionné…

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