L’émotion est parfois mauvaise conseillère, comme le prouve la fausse bonne idée de créer une commission « Grandir dans la dignité ». Car contrairement à l’aide médicale à mourir, la protection des enfants se prête mal à un examen « non partisan » entre parlementaires. Espérons que le gouvernement caquiste trouvera un meilleur mécanisme pour faire la lumière sur la protection de la jeunesse. Le sujet est trop important pour manquer son coup.

Il y a un mois, au lendemain de la mort d’une fillette à Granby, François Legault avait promis de lancer une grande consultation « non partisane ». Une enquête publique du coroner était déjà prévue sur ce cas précis, mais M. Legault souhaitait aller plus loin. Tout comme les députés de l’opposition, le premier ministre voulait ajouter un examen plus vaste, pour comprendre les ratés du système et les corriger.

C’était un beau moment d’unité au Salon bleu, mais il n’a pas mené aux meilleures propositions.

Une idée a vite émergé : que les élus s’inspirent de la commission parlementaire sur l’aide médicale à mourir. M. Legault l’a évoqué en Chambre sous le coup de l’émotion. La libérale Hélène David a repris l’idée avec enthousiasme. Après « Mourir dans la dignité », ce serait au tour de « Grandir dans la dignité », a-t-elle proposé.

Or, les deux dossiers sont très différents. L’aide médicale à mourir exigeait une réflexion éthique sur les soins en fin de vie. Le débat se situait au-delà des clivages habituels. Chaque élu défendait plus sa conscience que sa ligne de parti. Tout se décidait par consensus, en espérant que si les élus pouvaient s’entendre, ils rallieraient l’ensemble des Québécois dans cette délicate démarche.

Contrairement à l’aide médicale à mourir, personne n’est contre la protection de la jeunesse. La réflexion ne portera pas sur l’objectif. Elle s’intéressera plutôt aux moyens, à la gestion du réseau sous les précédents gouvernements.

Les libéraux devront malgré eux défendre leur bilan, et l’opposition aura le réflexe de l’attaquer. On examinera, par exemple, l’impact de la réforme Barrette, le sous-financement des services, la rigidité syndicale, les lacunes de la loi actuelle, le travail en vase clos des ministères. Bonne chance pour la non-partisanerie…

Autre différence : « Mourir dans la dignité » était une commission parlementaire. Cela signifie qu’elle devait s’inscrire dans l’horaire chargé des élus, et qu’elle n’avait pas le pouvoir d’exiger des documents. Mieux vaut donc lancer une commission d’enquête, qui siège quand elle le souhaite et qui peut forcer des témoins récalcitrants à collaborer.

Bien sûr, les libéraux, péquistes et solidaires ne s’y opposent pas, mais ils souhaitent avoir chacun un siège de commissaire. Il y aura déjà une présidente, deux vice-présidents et des experts. Cela commence à faire beaucoup de monde… Pourquoi alourdir le travail en ajoutant des élus ? L’ironie, c’est que c’est au nom de la « non-partisanerie » qu’on le ferait.

Par contre, l’opposition a raison de critiquer le manque de tact du gouvernement Legault. Au lieu de mettre leurs rivaux devant le fait accompli, les caquistes auraient dû les consulter au sujet du choix de la présidente — ce sera Régine Laurent, ex-dirigeante de la Fédération des infirmières du Québec.

Il aurait été préférable de créer la commission par consensus, puis de la laisser faire son travail loin du regard des élus.

Mais ne soyons pas trop négatif. Malgré ce faux pas, la commission a encore tout à fait les moyens de bien faire son travail. L’important est que son mandat soit aussi large que possible, pour qu’elle retourne toutes les pierres (DPJ, santé, éducation, police, organisation du travail, budget et personnel, lois) afin de comprendre les ratés du système et les façons d’y remédier.

L’opposition devrait mettre tout son poids pour exiger que le gouvernement caquiste fasse le point à l’Assemblée nationale une année après le dépôt des recommandations. Car peu importe la qualité du rapport de la commission, s’il est tabletté, il n’aura pas servi à grand-chose.

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