Vous avez été violé par un prêtre à 10 ans. Vous avez essayé d'enterrer ce cauchemar, mais juste avant vos 18 ans, il remonte à la surface. Vous faites une dépression et abandonnez vos études et votre boulot. Vous voulez poursuivre le diocèse au civil pour obtenir une réparation financière.

Est-ce possible ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Enfin, c'est compliqué... Mieux vaut sortir votre calculatrice et chercher un bon avocat.

Voilà le modèle québécois d'aide aux victimes. Notre régime est le plus compliqué au pays.

À l'exception de l'Île-du-Prince-Édouard, le Québec est la seule province à maintenir une prescription sur les crimes sexuels. Cela signifie qu'après un certain temps, la possibilité d'intenter un recours au civil disparaît. Même si la douleur, elle, brûle toujours.

Il est vrai qu'en mai 2013, le gouvernement Marois a retardé la prescription pour les crimes sexuels. Le délai pour porter plainte est passé de 3 à 30 ans. C'est bien, mais cela ne suffit pas.

Rappelons qu'au criminel, il n'y a pas de prescription. Mais au civil, notre système demeure complexe et injuste.

Première source d'irritation : la modification faite en 2013 n'était pas rétroactive. Le calcul du délai commence à partir du moment où la victime constate le préjudice qui découle de l'agression. Cela signifie que tout préjudice constaté avant le 23 mai 2010 (soit trois ans avant l'adoption de la loi) est a priori exclu.

Il y a toutefois un « mais ». Si le délai est échu, le plaignant peut soutenir qu'il était incapable de déposer une plainte. Commence alors un procès dans le procès pour démontrer cette impossibilité. Avec des questions pénibles, parfois traumatisantes.

Qui en profite ? Les agresseurs et les institutions poursuivies comme les congrégations religieuses ou l'État. Le délai de prescription est en effet au coeur de plusieurs recours intentés, par exemple, par des victimes de prêtres pédophiles.

En vertu de son Code civil, le Québec prévoit des délais de prescription. Cela assure une certaine stabilité dans les relations entre individus. Par exemple, on ne voudrait pas qu'un propriétaire poursuive son voisin 30 ans après avoir découvert que la clôture empiète sur son terrain. Pour éviter que les recours deviennent ingérables, ils ne doivent pas trop s'éterniser. Les crimes sexuels font toutefois exception. Ce sont des bombes à retardement. Il est dans leur nature même de remonter à la surface des décennies en retard. Ils se manifestent « de façon lente et imperceptible », rappelait la Cour suprême en 1992.

Voilà pourquoi le Barreau du Québec et la protectrice du citoyen ont déjà réclamé la fin du délai de prescription*. Le gouvernement Couillard avait reçu en 2014 le rapport Dussault** qui suggérait comment procéder, mais il n'a rien fait.

Le mois dernier, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité une motion pour y mettre fin. Ce n'était toutefois qu'une déclaration de principe sans conséquence juridique.

Bien que d'accord en principe, le gouvernement caquiste réfléchit encore à la meilleure façon d'abolir le délai de prescription.

La ministre de la Justice, Sonia LeBel, est de bonne foi dans le dossier. Il lui reste quelques questions techniques à régler.

Devrait-on rouvrir les dossiers rejetés à cause de la prescription ? Comme le reconnaissait la protectrice du citoyen, cela contreviendrait au principe de « l'autorité de la chose jugée ». Mais un équilibre pourrait être atteint en prévoyant une période transitoire durant laquelle les dossiers rejetés pourraient être ramenés devant le tribunal.

Aussi, la fin de la prescription doit-elle être rétroactive ? Si ce n'est pas le cas, les iniquités demeureront. Mais que faire quand des institutions ont disparu ? Une solution mitoyenne est-elle souhaitable ?

Il faudra surveiller le gouvernement, car son choix ne sera pas tout à fait désintéressé - lui aussi pourrait faire l'objet de réclamations.

Peu importe la solution retenue, ce qui importe, c'est que la loi cesse de nier ce que les victimes savent trop bien : le temps n'efface pas tout. Certaines cicatrices ne se refermeront jamais.

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