«Il te manque ton groupe de produits laitiers! Mets donc un yogourt aux fraises. Et tu n'as même pas de fruit dans ton lunch? Tiens, prends un jus d'orange.»

Ce genre d'échange est commun dans les familles. Pendant longtemps, des parents ont cru que c'était un exemple de bonne alimentation. Mais c'est le contraire, constatent maintenant les diététistes.

La semaine dernière, on a fait grand cas de la disparition du groupe des produits laitiers dans le prochain Guide alimentaire canadien. Or, il faudrait inverser le raisonnement.

Au lieu de débattre de ce qui devrait se trouver dans les groupes, on devrait plutôt se demander si le concept de groupe a encore sa place.

De plus en plus, les experts répondent «non». Car penser en termes de groupes, cela incite à mettre sur le même pied un verre de jus ultrasucré et un fruit, ou un saucisson gras et un poisson. Dans chaque cas, on aura coché la case du groupe alimentaire «fruits et légumes» ou «viande et substituts». Pourtant, une énorme différence sépare ces aliments.

La semaine dernière, La Presse dévoilait une version préliminaire du prochain Guide. Les producteurs laitiers ont crié au scandale. La raison : ils perdront leur statut sans avoir été consultés et ils en souffriront.

Tant mieux si les lobbyistes n'ont pas réussi à tirer les ficelles en coulisse. Comme l'ont souligné plusieurs commentateurs, un guide alimentaire n'est pas une politique de soutien aux agriculteurs. Il doit suivre la science. Et à en juger par les brouillons divulgués, c'est ce qui a été fait.

Reste qu'il y avait un peu de mauvais théâtre dans l'indignation des producteurs laitiers. Depuis 2016, on sait que Santé Canada ne considère ni le lobbying ni les études financées par l'industrie. Les producteurs ont pu faire valoir leurs arguments, mais seulement lors des consultations publiques. Depuis, il devenait prévisible que les produits laitiers perdraient leur statut. Le document d'orientation dévoilé en 2017 y ouvrait d'ailleurs la porte.

Ce qui n'a toutefois pas été assez dit, c'est que le débat ne porte pas que sur la place du lait ou d'un autre aliment dans le Guide. Il porte sur le rôle du Guide alimentaire lui-même.

Pour le comprendre, il faut revenir à la naissance du Guide. C'était en 1942. Le Canada était en guerre et les vivres étaient rationnés. Le premier Guide visait à «prévenir les carences nutritionnelles». On a donc accouché d'un guide qui divise les aliments en quatre groupes. Le but : trouver une catégorisation pratique qui aide les Canadiens à mettre les nutriments essentiels dans leur assiette.

Depuis, on a changé de siècle. Le problème aujourd'hui avec notre alimentation, ce n'est plus les carences. C'est les excès. De gras, de sel et de sucre. On les trouve particulièrement dans une catégorie d'aliments, ceux qui sont hypertransformés. Il y en a dans chaque groupe alimentaire - par exemple, un salami, un yogourt aux saveurs artificielles ou un burrito congelé.

On comprend donc en quoi l'approche par groupes est inadéquate. Un exemple absurde : une pizza du restaurant-minute est en théorie un repas équilibré, même si elle peut comporter le pire des quatre groupes.

Voilà pourquoi les diététistes délaissent l'approche rigide des groupes pour revenir à l'essentiel.

Si vous avez soif, buvez de l'eau. Et si vous avez faim, délaissez les aliments hypertransformés. Cuisinez plutôt. Pas besoin de sortir la calculatrice et la balance pour vos rations. Il suffit de maximiser les fruits et légumes, de minimiser le sel, le sucre et le gras, et de privilégier les protéines végétales ou animales maigres. Pour le reste, variez vos choix.

C'est dans ce contexte que la place des produits laitiers devrait être revue. Ils ne disparaissent pas. Comme l'a indiqué le nutritionniste Bernard Lavallée, ils descendent seulement de leur piédestal. On les intègre dans la catégorie des produits protéinés, ce qu'ils sont.

Cela ne signifie pas qu'il faille rester insensible aux inquiétudes des producteurs laitiers. Depuis 20 ans, leur nombre au Québec a baissé de moitié et ceux qui restent vont souffrir du nouvel accord commercial canado-américain. Le gouvernement Trudeau doit les aider tel que promis. Mais le Guide alimentaire n'est pas l'outil pour le faire. Il sert à mieux manger, tout simplement.

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