Avec le profilage racial, les policiers n'ont pas droit à l'erreur. Ou plutôt, ils n'ont pas le droit de tolérer l'erreur.

Car il suffit d'une arrestation arbitraire pour effacer tous leurs efforts de rapprochement avec les minorités visibles. La confiance est lente à gagner, mais facile à perdre.

Voilà pourquoi on se retient d'applaudir trop fort à la suite du dépôt cette semaine du plan d'action sur le profilage racial et social du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Bien sûr, il contient du bon.

D'abord, la façon de présenter le plan marque une rupture. Grâce à l'administration Plante, les citoyens ont pu pour la première fois poser des questions au chef du SPVM. Auparavant, il ne répondait qu'aux questions des élus, à huis clos.

Ensuite, le plan d'action lui-même marque quelques avancées. Le SPVM agira en amont, en formant et en sensibilisant davantage ses policiers. Et il partagera ses données avec des chercheurs indépendants, afin de vérifier si les minorités visibles sont plus souvent interpellées. Tout cela est très bien.

Reste qu'il y a des limites à s'emballer pour une annonce qui arrive des décennies en retard...

En 1988, déjà, le rapport Bellemare recommandait de mieux documenter les fautes des policiers et de les punir. En attendant que le SPVM bouge, d'autres ont pris le relais. Des criminologues ont comparé les interpellations des jeunes hommes selon la couleur de leur peau. Et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a aussi recensé les plaintes. À défaut d'avoir un bilan complet, on dispose d'assez d'informations pour conclure que le profilage racial persiste à Montréal.

Que le SPVM renforce la prévention et la transparence aidera. Mais il faudra aussi sévir avec les zélés qui voient encore le monde en noir et blanc.

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Des lecteurs hausseront les épaules. Est-ce vraiment un problème ? Rendons cela plus concret pour eux.

Vous marchez en soirée sur le trottoir dans le Vieux-Montréal. Une voiture de police ralentit et demande ce que vous faites. Irrités, vous répondez ne rien faire de mal. Le ton monte. Un policier demande vos papiers. Vous refusez - c'est votre droit. S'ensuit une escalade, et peut-être même des menottes.

Ça vous est déjà arrivé ? La réponse dépend fort probablement de la couleur de votre peau.

Notre exemple n'est pas très fictif... C'est en fait l'histoire d'Alexandre Lamontagne, un Noir. Il est à l'origine d'une action collective intentée contre le SPVM.

Pourquoi était-il impatient avec la police ? Parce qu'il ne faisait que marcher. Parce que ce n'était pas la première fois qu'on le jugeait suspect sans raison.

Parce que cela arrive rarement aux Blancs. Parce qu'il est aliénant de se sentir comme un criminel sans avoir rien fait.

Le SPVM n'a pas tort de dire qu'une certaine forme de profilage est inévitable. Par exemple, si les policiers ont une description d'un suspect, ils intercepteront ceux qui y correspondent. Il s'agit de profilage criminel.

Mais ce qui n'est pas normal, c'est quand un policier va à la pêche et interpelle un piéton ou intercepte un automobiliste sans raison, à part la couleur de sa peau. Comme si plus la peau est foncée, plus le risque de crime est grand. Ce calcul peut se faire de façon consciente ou non. Mais peu importe l'intention, la conséquence est la même. Ces personnes ont l'impression qu'elles sont sous surveillance à cause de leur couleur.

Le pouvoir policier n'est pas une chose banale. Il permet de limiter ce qu'il y a de plus précieux, notre liberté. Ce pouvoir vient avec des responsabilités proportionnelles.

Les policiers font un travail aussi difficile qu'essentiel. Ils doivent prendre des décisions en une fraction de seconde, dans des conditions stressantes. Il est facile pour nous de les juger à distance.

Insistons : on ne doute pas que la très grande majorité des policiers font preuve d'un professionnalisme exemplaire. Mais il ne suffit que de quelques fautifs pour défaire les efforts de tous les autres.

Les plaignants peuvent s'adresser aux tribunaux ou à la déontologie policière. Dans le premier cas, l'amende est payée par le SPVM - le policier en cause ne paye pas personnellement. Dans le second, les sanctions ne sont pas très sévères. Le SPVM n'a pas été capable de trouver un seul cas de congédiement.

Avec son nouveau plan d'action, le SPVM et son nouveau chef, Sylvain Caron, ont démontré qu'ils veulent sincèrement mettre fin au profilage racial. Mais tant qu'ils ne puniront pas les récidivistes du profilage, la méfiance demeurera.

Lisez le plan du SPVM

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