Rendons le «chantier de la réforme du droit de la famille» un peu plus concret.

- Que faire pour dissuader un couple de se rendre dans un centre de procréation en Inde, où les femmes sont traitées dans des conditions dégradantes? Doit-on permettre les contrats avec les mères porteuses québécoises?

- Que faire si un homme congèle sa semence, meurt, et que sa femme est par la suite fécondée? L'enfant peut-il en devenir l'héritier?

- Et enfin, que faire si un père biologique veut faire rayer un parent d'adoption de l'acte de naissance? Serait-ce préférable de reconnaître trois parents?

Ce n'est pas de la fiction. Chacun de ces trois cas s'est récemment rendu devant les tribunaux. Et dans chaque cas, les juges ont répondu par un long soupir.

Le droit de la famille est désuet, ont-ils déploré. Il remonte à 1980, une époque où la majorité des parents étaient des hétérosexuels mariés devant Dieu.

Ce modèle a depuis éclaté.

La majorité des parents vivent désormais hors mariage, et la moitié des couples finiront par se séparer. Certains, gais ou hétérosexuels, recourent aussi à la procréation assistée ou aux mères porteuses. Et il arrive qu'il y ait plus de deux parents.

Comment trancher dans chacun de ces cas? Il faudrait donner la priorité à l'intérêt de l'enfant, ont dit les juges dans les causes citées ci-dessus. Il faudrait, disent-ils... Car le droit de la famille actuel ne leur permet pas toujours.

On accuse parfois les juges d'activisme. Mais en droit de la famille, ce fut plutôt le contraire. Les magistrats ont été très patients. Ils se sont contentés d'interpeller Québec.

Au Québec, les conjoints de fait n'ont pas automatiquement droit aux pensions alimentaires et au partage du patrimoine familial. Il s'agit d'une discrimination, concluait la Cour suprême en 2013. Mais le plus haut tribunal du pays n'a pas osé invalider la loi québécoise. Il a plutôt renvoyé la balle à l'Assemblée nationale.

Peu après, le gouvernement Marois a donc commandé un rapport d'expert pour réformer le droit de la famille. Ce document touffu, de plus de 600 pages, a été déposé au gouvernement Couillard en 2015.

Il a été déposé sur une tablette à l'ombre.

Depuis, des juges interpellent le gouvernement à cause de la vétusté de la loi. En 2016, ce fut la Cour du Québec. En 2017, la Cour d'appel. Et en 2018, la Cour supérieure. Chaque fois, ils ont répété le même message : à vous d'agir! À vous de donner suite au rapport d'expert piloté par Me Alain Roy.

Mais à Québec, les bruits de criquets ne cessent de retentir...

C'est dans ce contexte que la Chambre des notaires a lancé lundi dernier les consultations publiques sur le droit de la famille. Elles servent à entendre les groupes d'intérêt et l'ensemble de la population sur le rapport Roy.

En d'autres mots, les notaires font le travail que le gouvernement Couillard n'a pas osé faire. Peut-être que les libéraux craignaient de déplaire en se compromettant au sujet des mères porteuses, du partage du patrimoine ou d'autres questions épineuses. Mais cette accalmie est un leurre. Car pendant cette attente, les tribunaux continuent de trancher dans la confusion.

Il y a quelques décennies, on avait pourtant procédé dans l'ordre contraire. Lors de la réforme du Code civil, dans les années 70, Québec s'était d'abord attaqué au droit de la famille, à cause de son importance concrète. C'est ainsi que cette catégorie du droit a été réformée en 1980, soit 14 années avant le reste du Code civil!

Aujourd'hui, le Québec reste pris avec de vieilles lois.

On reconnaît l'extrême complexité du sujet. Mais c'était justement une raison pour organiser des consultations publiques sur le rapport.

Exaspérée après trois années d'attente, la Chambre des notaires a décidé de faire ce travail par elle-même. Elle devrait publier un compte rendu de ces consultations avant les prochaines élections. Le prochain gouvernement pourra s'en saisir.Ce que recommandait le rapport Roy

Le rapport contenait 82 recommandations, formulées par Me Roy et huit autres juristes, avec l'aide d'experts des ministères de la Justice et de la Famille. En voici trois importantes.

Pour les parents

Imposer des obligations financières aux parents, et ce, qu'ils soient mariés ou non. Après une séparation, un conjoint de fait pourrait par exemple réclamer une pension alimentaire. L'enfant, et non le type d'union, devient ainsi le critère pour le partage des responsabilités financières.

Pour les conjoints

Ne pas imposer d'obligations financières aux conjoints non mariés qui n'ont pas d'enfants. On reconnaîtrait désormais deux régimes : le mariage et l'union de fait. À l'heure actuelle, il existe trois catégories (union de fait, union civile et mariage) qui se chevauchent et peuvent porter à confusion. Si les conjoints de fait veulent se donner les mêmes obligations que les mariés, ils pourraient le faire, mais seulement après y avoir consenti (opting-in).

Pour la filiation

Encadrer la pratique des mères porteuses pour la rendre plus acceptable. Une nouvelle procédure administrative serait créée. Toutes les parties devraient consentir à ce que l'enfant soit cédé à ses «parents d'intention» - ceux qui l'adoptent. Une mère porteuse aurait jusqu'à 30 jours après la naissance pour demander de conserver le bébé.

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