Il ne reste pas grand monde pour défendre l'Entente sur les tiers pays sûrs, qui incite des milliers de demandeurs d'asile à franchir la frontière de façon irrégulière.

Alors pourquoi le Canada reste-t-il pris avec cette entente ? La réponse tient en cinq lettres : T-R-U-M-P. Car il y a au moins une personne qui s'en accommode, et c'est la plus puissante. Et aussi la plus imprévisible.

Cette entente canado-américaine, qui existe depuis 2004, prévoit qu'un migrant qui réclame le statut de réfugié doit déposer sa demande dans le premier pays où il pose le pied. S'il se trouve aux États-Unis, il ne peut demander l'asile au Canada, et vice versa.

Il y a toutefois une exception : si la personne franchit la frontière de façon irrégulière, sans passer par un poste frontalier. C'est ce qui se passe sur le chemin Roxham.

Le phénomène ne s'est jamais observé dans le sens inverse. Résultat, l'Entente réduit le nombre de demandes d'asile aux États-Unis. On comprend pourquoi le président Trump ne s'en plaint pas.

Pour les migrants, c'est moins rose. L'Entente les incite à se faufiler dans les bois avec leurs valises, avant d'être interceptés par les policiers. Ce n'est pas une immigration faite dans la dignité. On peut l'affirmer tout en ayant de la compassion. La preuve, cette entente est dénoncée entre autres par Amnistie internationale et l'Association des avocats en immigration du Québec, qui défendent les intérêts des demandeurs d'asile.

Que faire ? On peut commencer par écarter une mauvaise idée, celle des conservateurs. Les troupes d'Andrew Scheer voudraient que toute la frontière canado-américaine soit considérée comme un poste frontalier. En d'autres mots, ils veulent créer leur propre mur, un mur juridique de 8891 kilomètres entre le Canada et les États-Unis.

Pour les conservateurs, la réponse est simple : expulsion ! C'est impraticable et illégal. Le Canada risquerait d'expulser de véritables réfugiés et de menacer leur vie. Cela violerait le droit international.

Et même si c'était légal, ce serait ingérable. Combien d'argent veut-on investir pour patrouiller la plus longue frontière sur la planète ? Et veut-on vraiment pousser les migrants à prendre plus de risques, en franchissant la frontière la nuit, au milieu de nulle part ?

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Il reste deux solutions : suspendre l'accord ou le modifier.

On ignore quelle forme exacte prendrait une modification. Mais on sait à quel problème elle devrait répondre.

La plus récente vague de demandeurs est très différente de celle de 2017. L'année dernière, il s'agissait d'Haïtiens qui séjournaient aux États-Unis grâce à un permis temporaire accordé après le séisme de 2010. Craignant de perdre ce statut, ils ont cherché à obtenir l'asile au Canada.

Cette année, plusieurs des demandeurs viennent du Nigeria. Ils ne sont pas venus aux États-Unis à cause d'une catastrophe humanitaire ni grâce à un programme spécial. Ils sont plutôt arrivés en obtenant un simple visa régulier de visite. Une fois aux États-Unis, ils ont décidé de migrer au nord pour demander l'asile.

Pourquoi ne pas avoir demandé l'asile dès le départ au Canada ? Deux hypothèses : les États-Unis sont plus permissifs pour accorder des visas aux Nigérians, entre autres à cause de l'industrie pétrolière. Et à l'inverse, le Canada est plus permissif pour le traitement des demandes d'asile. La meilleure chance de trouver refuge est donc de commencer avec un visa américain puis de franchir le chemin Roxham.

Le gouvernement Trudeau discute depuis quelques mois avec Washington pour modifier l'Entente. Il cherche sans doute des façons de colmater cette brèche. Possiblement en demandant aux États-Unis de resserrer le contrôle de leurs visas.

Il existe une solution en apparence plus simple : suspendre l'Entente sur les tiers pays sûrs.

Il est vrai que cela inciterait les migrants à magasiner leur pays d'accueil, en déposant des demandes à la fois au Canada et aux États-Unis. Mais cela vaudrait la peine pour remettre de l'ordre dans les demandes d'asile.

Le gouvernement Trudeau le refuse et on peut comprendre. Car on ignore comment le président Trump réagirait ni quel serait l'impact sur la renégociation de l'ALENA. Bref, on ne peut mesurer les conséquences de la décision.

Pendant que ces discussions se poursuivent, Ottawa pourrait en faire plus. Il est vrai que le fédéral a accéléré l'attribution des permis de travail, et que des ministres se rendront au Nigeria pour expliquer que l'asile n'est accordé qu'aux gens dont la vie est réellement menacée. Mais il reste du travail à faire. Si un demandeur reçoit de l'aide du Québec sans avoir l'intention d'y rester, il devrait être acheminé plus vite vers sa destination finale. Et il devrait pouvoir faire examiner son dossier plus vite que le délai actuel de près de deux ans.

C'est autant dans l'intérêt des provinces, qui paient pour ces délais, que dans celui des migrants qui cherchent à refaire dignement leur vie.

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