Mettez-vous dans la peau d'un drogué, quelques secondes.

Vous vouliez faire pousser un plant de sativa pas trop fort, mais cela demeure interdit et vous craignez que vos voisins se plaignent. Alors vous vous rendez au magasin d'État. Il était loin et il fermait tôt, comme d'habitude.

Vous cherchez en vain le produit sur les étagères. On l'a caché derrière le comptoir. Quel type de marijuana offre-t-on ? Il faut demander au commis syndiqué, qui vient d'être formé à toute vitesse. Vous prenez un produit inconnu, en pensant avec nostalgie à ce pusher qui, finalement, faisait très bien l'affaire...

Ce système, c'est celui que propose l'Ontario. La province a été cette semaine la première au pays à dévoiler son cadre de légalisation du cannabis. Il est souple et convivial, comme un confessionnal pour demander sa crème anti-hémorroïde.

En fait, il ressemble au puritanisme de la défunte Commission des liqueurs du Québec.

À la différence de l'alcool dans les années 40, le marché noir du cannabis est implanté depuis un siècle. Il faudra être un peu plus efficace pour le combattre.

Ceux qui en doutent n'ont qu'à se tourner vers l'Uruguay. En 2013, le pays sud-américain est devenu le premier à légaliser le cannabis. Or, son système de vente (dans les pharmacies derrière le comptoir) était si rigide que les fumeurs ont préféré le marché noir. Ce fut un échec.

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À la décharge de l'Ontario, les provinces marchent sur un fil de fer. Si elles sont trop restrictives, elles maintiendront le marché noir. Mais si elles sont trop permissives, elles encourageront la consommation et ses méfaits.

L'équilibre est fragile. Pour le trouver, il faut revenir à l'objectif initial de la légalisation. Contrairement à ce qu'on prétend parfois, cela n'a jamais été pour faire de l'argent. La légalisation engendre aussi des coûts, surtout pour son lancement - elle risque même d'être déficitaire lors des premières années. Et les revenus futurs seront, on l'espère, entièrement réinvestis en prévention.

La légalisation servait plutôt à renverser notre approche. À aborder le cannabis comme un problème de santé publique, et non de criminalité. Et à se soucier des conséquences, et non des postures morales.

Une posture, c'est dire que le cannabis est mal et que la loi doit l'interdire. Cela est aussi facile qu'inutile. Car le bilan de la prohibition est clair : elle n'empêche pas de fumer et ne réduit pas les problèmes de santé que cela engendre, surtout chez les 15 à 24 ans. Et en contrepartie, elle crée une multitude de problèmes sociaux (gaspillage de ressources policières et judiciaires, crime organisé renforcé, drogue de qualité invérifiable, vies gâchées avec un casier judiciaire, etc.).

Penser aux conséquences, c'est gérer les risques, oser choisir le moindre mal. L'Ontario a manqué d'audace à cet égard. Espérons que le Québec ne s'en inspire pas trop, car son modèle soulève de grandes inquiétudes pour la vente et la consommation.

LA VENTE

La légalisation ne hausse pas nécessairement la consommation. Selon l'Institut de santé publique, le facteur important est la perception du risque. Or, c'est la commercialisation, et non la simple légalisation, qui banalise le risque.

On ne peut vendre le cannabis comme de la tisane. Il est donc normal que les provinces contrôlent l'affichage, la publicité et les points de vente - par exemple, loin des écoles.

La société d'État est un choix intéressant, mais imparfait. Elle est utile pour éviter la commercialisation à outrance. Mais elle exige de créer une expertise à partir de rien, avec une structure de coûts peu flexible. Il existait déjà une expertise : les dispensaires, de petites boutiques qui ont poussé avec le cannabis médical. Peut-être que l'Ontario aurait pu en faire des alliés au lieu de les interdire, ce qui ne fait que poursuivre l'éternel jeu du chat et de la souris avec la police.

Bien sûr, même le meilleur régime ne fera pas disparaître le marché noir. Mais on devrait le dégonfler autant que possible.

LA CONSOMMATION

Le fédéral interdit aux mineurs l'achat de cannabis, mais ne criminalise pas la possession de petites quantités. L'Ontario va plus loin, en créant une infraction pour un mineur qui possède cinq grammes ou moins.

Si la criminalisation ne les dissuade pas de consommer, pense-t-on vraiment qu'une moitié de criminalisation les effraiera davantage ?

Cela fait perdre du temps à la police et perpétuera des tensions sociales. En 2013, il y a eu plus de 59 000 arrestations au Canada à cause du cannabis, et cette justice n'est pas aveugle. Qui risque le plus d'être embêté par les policiers ? Pas l'informaticien dans sa Audi, ni l'avocat à Outremont. Les jeunes de minorités et de quartiers défavorisés sont plus susceptibles d'être interceptés. Ils commenceront leur vie avec un casier judiciaire, ou du moins la méfiance des autorités.

On insiste, il est plus facile de trouver les failles dans un modèle que d'accoucher du modèle parfait. D'ailleurs, ce modèle idéal n'existe pas. Il faudra immanquablement s'ajuster en cours de route. Mais le Québec peut trouver un meilleur équilibre que l'Ontario.

Le temps passe

Le cannabis sera légalisé par Ottawa le 1er juillet 2018

Fédéral

Responsable de la production

Provinces

Responsables de l'encadrement de la vente et de la consommation (qui vend le cannabis, sous quelle forme, à qui, à quel prix, et où peut-on le consommer)

La sévérité ontarienne

-Âge minimal de 19 ans (comme pour l'alcool)

-Interdiction de consommer dans un lieu public

-Interdiction des dispensaires

-Interdiction aux mineurs de posséder ou consommer du cannabis. Une infraction provinciale sera ajoutée. Cela va plus loin que le fédéral, qui tolérait qu'un mineur possède jusqu'à 5 grammes.

-Vendu uniquement par une nouvelle filiale de la société d'État (LCBO), consacrée exclusivement au cannabis. Il y en aura 40 en juillet 2018, puis 150 en 2020.

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