Il ne reste qu'une année avant la légalisation du cannabis. Une toute petite année pour décider qui pourra vendre la drogue, sous quelle forme, à qui, à quel endroit et à quel prix.

Pour être prêt le 1er juillet 2018, Québec devra terminer ses consultations d'ici la fin de l'été, déposer son projet de loi à l'automne puis l'étudier et l'adopter avant la fin juin.

« L'échéancier est hyper serré, mais allouer un délai aux provinces ne suffirait pas pour trouver le modèle idéal. »

Car le principal obstacle n'est pas le temps, mais plutôt l'information. Il manque d'études pour répondre à toutes ces questions, à cause de la clandestinité de la consommation chez nous et de la nouveauté des expériences de légalisation ailleurs.

Il faudra donc ajuster le nouveau régime en cours de route. Cela n'a rien d'affolant ou d'anormal. Par exemple, les États du Colorado et de Washington ont déjà modifié à plusieurs reprises leur modèle de légalisation du cannabis, et le Québec a souvent dû changer ses lois sur le tabac.

La souplesse et la vigilance seront à nouveau nécessaires. Voilà pourquoi le régime devra rester autant que possible public et à but non lucratif. Si l'État exerce un contrôle, il pourra colliger les données et s'ajuster rapidement sans subir le lobbying de vendeurs avares.

Pour le reste, voici les écueils à éviter.

QUI PEUT EN ACHETER ?

Le fédéral imposera un âge minimal de 18 ans. Les provinces pourront néanmoins hausser l'âge légal, comme elles le font déjà avec l'alcool.

L'Association des médecins psychiatres du Québec recommande une limite de 21 ans pour le cannabis. Son argument : le cerveau des jeunes continue de se développer jusqu'à 25 ans, ce qui le rend plus vulnérable aux effets nocifs de cette drogue.

Personne ne le conteste, mais cela ne répond en rien à la question de savoir si ce danger augmentera avec la légalisation. Ces médecins ne font que présumer que le nouveau régime incitera les jeunes à consommer et que cet inconvénient sera plus grand que les avantages anticipés, comme sortir du marché noir.

Or, ce postulat n'a pas été prouvé. De l'aveu de l'Institut national de santé publique - le spécialiste en la matière -, c'est la commercialisation et non la légalisation qui serait associée à une hausse de la consommation. Il est beaucoup trop tôt pour conclure que Québec ne réussira pas à encadrer étroitement la vente de cannabis. Et si on le légalise, c'est justement pour que les 18-25 ans, les plus grands fumeurs, n'achètent pas n'importe quelle cochonnerie et ne prennent pas leurs conseils de santé aux Tam-tams du mont Royal.

Ajoutons que d'autres psychiatres ont récemment déploré le manque de nuances dans le débat actuel.*

QUI PEUT EN VENDRE ?

Le fédéral doit réglementer la production de la drogue, tandis que la vente relève des provinces.

Pour lancer le régime, le vendeur ne devrait pas être un dépanneur ou une autre chaîne qui sert à engraisser ses actionnaires. Mais une société d'État n'est pas le seul modèle. Québec pourrait aussi miser sur des coopératives et organismes à but non lucratif, à condition de faire le ménage dans le Far West actuel.

Et si on opte pour une société d'État, il ne faudrait pas confier le mandat à la SAQ.

Vendre le cannabis avec l'alcool attirerait de nouveaux clients et inciterait à la consommation croisée.

En fait, la SAQ et Loto-Québec servent surtout de modèle pour les erreurs à ne pas reproduire. Les points de vente de cannabis ne devraient pas être trop nombreux ni trop près des écoles ou concentrés dans les milieux défavorisés, comme c'est le cas pour les appareils de loterie vidéo. Et ils ne devraient pas faire de promotion dynamique. De grâce, évitons les cartes Inspire-cannabis, les accords de marijuana/rock progressif ou les pastilles de goût - euphorisant, psychédélique ou défoncé, votre préférence ?

Les consommateurs tendent à s'informer là où ils achètent. Les vendeurs devront donc pouvoir les renseigner sur la différence entre le sativa et l'indica, entre le taux de THC et de cannabidiol, tout comme sur les effets psychomoteurs et cognitifs. Et ce, autant sur leur site internet qu'en magasin. Leur formation à elle seule sera un défi.

À QUEL PRIX VEND-ON ?

Un prix trop faible incitera à consommer, tandis qu'un prix trop élevé maintiendra en vie le marché noir. Mais où se situe cet équilibre ? Il faudra avancer par essai et erreur.

Idéalement, le marché noir faiblira de plus en plus, ce qui permettrait de hausser les taxes avec le temps, comme ce fut le cas avec l'alcool aux États-Unis après la prohibition.

Les provinces se sont déjà rencontrées pour harmoniser leurs régimes. Ce sera encore plus nécessaire que pour l'alcool, car le cannabis se poste facilement. Le Canada sera aussi fort que le plus faible maillon de cette chaîne.

On le constate, l'échéancier est serré et le sujet est complexe. Mais le Canada n'est pas seul. Six États américains ont eux aussi opté l'année dernière pour la légalisation, et leur expérience nourrira la nôtre.

Il ne sert à rien de multiplier les propos alarmistes contre la légalisation. Le train est déjà en marche. La pression doit plutôt être maintenue pour ne pas transformer le cannabis en simple business pour une société qui se croit un peu trop relax.

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