Quand elle traverse la frontière canado-américaine, la carpe asiatique fait quelque chose de typiquement sauvage : elle ne s'arrête pas. Comme les autres animaux, le poisson avance sans montrer son passeport, ce qui lui a permis dans les derniers mois de nager jusque dans le fleuve Saint-Laurent.

À elle seule, cette espèce envahissante montre toutes les limites du plan d'action annoncé hier par Québec et Ottawa. Car pendant qu'on sort la pipette Pasteur pour éteindre un feu, Washington ferme ses tuyaux.

Les ministres de l'Environnement du Québec et du Canada, David Heurtel et Catherine McKenna, ont annoncé la nouvelle phase de l'entente provinciale-fédérale sur le fleuve Saint-Laurent. D'ici les cinq prochaines années, 57,5 millions sont investis dans 38 projets visant à protéger la biodiversité et la qualité de l'eau du fleuve.

Même si l'annonce est positive, il reste que la protection du réseau hydrographique diminuera malgré tout. La raison : le président Trump veut sabrer les 300 millions du programme d'Initiative de restauration des Grands Lacs - il a par contre trouvé un petit 54 milliards additionnel pour son budget militaire...

Difficile donc de se réjouir d'un investissement annuel canadien qui est 30 fois plus petit que ce qu'on sabrera au sud de la frontière.

Bien sûr, ce n'est pas en soi une critique de l'annonce de M. Heurtel et Mme McKenna. On ne peut les accuser de rester les bras croisés devant M. Trump. Au contraire, tout comme le maire Coderre, ils multiplient les rencontres pour essayer de convaincre Washington de reculer.

Mais ce combat, qui n'est pas terminé, se jouera surtout entre républicains modérés et trumpiens. Le pouvoir des élus canadiens paraît bien faible. Hélas, ils risquent surtout de devoir gérer les problèmes qui couleront chez nous.

Le programme américain des Grands Lacs servait entre autres à nettoyer les écosystèmes et à lutter contre les espèces envahissantes, comme la carpe asiatique ou les cyanobactéries. Il aidait aussi à freiner la baisse du niveau d'eau causée par les perturbations climatiques.

La mort de ce programme n'est pas la seule offensive des républicains contre les Grands Lacs. Certains voudraient aussi affaiblir l'Agence américaine de protection de l'environnement, en l'empêchant de réglementer les eaux charriées par les navires. La propagation d'espèces envahissantes comme les moules zébrées deviendrait ainsi un simple enjeu commercial.

***

Même si le Canada subit l'inaction américaine en amont du bassin Saint-Laurent, il pourrait tout de même en faire plus en aval dans le fleuve. Dans l'estuaire et dans le golfe, loin des Grands Lacs, les problèmes environnementaux sont différents et il y a une solution qui ne relève que de nos gouvernements : créer des zones protégées.

Or, Ottawa et Québec tardent à atteindre la cible de 10% de leur territoire marin, prévue par le protocole international de Nagoya.

Le gouvernement Couillard promettait d'y arriver dès 2015. Mais deux ans plus tard, le Québec reste très en retard, avec seulement 1,3% de son territoire protégé. L'atteinte de la cible a été reportée à 2020, soit après la prochaine campagne électorale.

Trois zones ont pourtant déjà été identifiées depuis plusieurs années : à la pointe Est de la Gaspésie (banc des Américains), dans l'estuaire du Saint-Laurent et enfin au large des Îles-de-la-Madeleine.

Le dossier est prêt, il ne reste qu'à finir le travail.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion