Dans les hauteurs des abstractions juridiques, une certaine humanité se perd. La requête de Jean Truchon et de Nicole Gladu remet un peu de chair au débat sur l'aide médicale à mourir. On y trouve une vérité dans la douleur.

M. Truchon, 49 ans, souffre de paralysie cérébrale. Mme Gladu, 71 ans, est atteinte du syndrome post-poliomyélite. Ils devraient avoir droit au suicide assisté, car ils répondent à tous les critères énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Carter : leur maladie est incurable, leurs souffrances sont constantes et intolérables et ils consentiraient clairement à y mettre fin.

La mort fait partie de la vie et, pour eux, la dignité ultime consiste à choisir quand elle ne mérite plus d'être vécue. Hélas, Ottawa leur refuse ce droit parce que leur décès ne serait pas assez imminent.

Selon la logique du fédéral, plus il reste d'années de souffrance au compteur, plus la douleur doit être endurée.

Cette absurde insensibilité se lit dans la réponse du gouvernement Trudeau à l'arrêt Carter. Sa loi a ajouté un critère aussi imprécis qu'injustifié : seuls les malades dont la mort est «raisonnablement prévisible» peuvent obtenir le suicide assisté. Or, ce critère n'est ni raisonnable ni prévisible.

Il n'est pas raisonnable, car il viole le jugement au lieu de s'y conformer. En effet, l'arrêt Carter portait sur une femme atteinte de sténose spinale, une maladie qui n'entraîne pas la mort. Les juges savaient donc très bien que la plaignante n'était pas en fin de vie.

Et le critère de la loi n'est pas prévisible non plus, car il ne signifie pas grand-chose. À partir de quand la mort d'un malade devient-elle prévisible? Est-ce à six jours, six mois ou à six ans du décès? Après tout, dès notre naissance, la mort devient assez prévisible...

On se doute par contre de ce qui motive les libéraux. Face à l'opposition conservatrice et aux réserves d'une partie de la population, ils ont coupé la poire en deux. Ils permettent le suicide assisté, mais pas trop. C'est ainsi qu'un «équilibre» semble avoir été trouvé, entre la stratégie politique et la dignité humaine.

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Sans surprise, la loi fédérale est contestée en Colombie-Britannique et une requête vient aussi d'être déposée au Québec par M. Truchon et Mme Gladu. Reste que pour l'instant, les délais judiciaires risquent surtout de diversifier leurs souffrances... Les requêtes ont été déposées dans les tribunaux inférieurs et même s'ils gagnent, la cause sera portée en appel. Leur calvaire durera plusieurs années.

Dans un monde idéal, le gouvernement Trudeau changerait sa loi ou demanderait au moins à la Cour suprême de l'examiner. Mais puisqu'il le refuse, on doit s'en remettre à Québec.

Le gouvernement Couillard pourrait accélérer la requête en demandant lui-même à la Cour d'appel d'examiner la loi fédérale, comme le réclament depuis plusieurs mois le Barreau du Québec et six autres ordres professionnels.

Hélas, même si cette demande est simple, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée se complaît encore dans l'inaction la plus modérée.

Son collègue Gaétan Barrette fait son travail en lançant un comité pour réviser la loi québécoise - par exemple, une déclaration anticipée devrait-elle permettre de réclamer à l'avance l'aide médicale à mourir, dans l'hypothèse où on devait souffrir d'une maladie comme l'alzheimer qui rend inapte à consentir? Mais ce débat hyper sensible reste toutefois bien théorique, car la loi fédérale l'interdit et elle a préséance. C'est donc par là qu'il faut commencer le travail. En demandant à Ottawa de respecter un jugement unanime et limpide.

Hélas, pour l'instant, le gouvernement Trudeau s'indiffère des gens pour qui le seul sens restant à leur vie est de se battre pour y mettre fin.

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