Il n'est pas trop tard pour « réfléchir » aux constructions en zone inondable, comme promet maintenant le premier ministre Couillard. Réfléchir est parfois utile. Cela peut même aider à faire quelque chose. Par exemple, à empêcher une ville de laisser les condos pousser au pied d'une rivière puis de croiser les doigts.

Québec promet de revoir le tracé des zones inondables, puis de diffuser l'information pour que les villes, citoyens et constructeurs sachent à quoi s'en tenir. Tant mieux, mais cela ne suffira pas à éviter que des catastrophes pas tant naturelles se reproduisent.

Car si les crues printanières continuent de faire des dégâts, ce n'est pas juste par manque de données. C'est aussi parce qu'on utilise mal les données actuelles.

Quand vient le temps d'évaluer un projet immobilier, les calculatrices des élus sont déréglées. Elles évaluent bien les revenus, mais sous-estiment les coûts.

D'un côté, les revenus sont prévisibles, à court terme et concentrés chez un nombre limité d'acteurs. Une résidence au bord de l'eau rapportera un magot aux promoteurs. Et les villes, qui dépendent malgré elles des taxes foncières, convoitent aussi cette manne. À cela s'ajoutent les riverains qui veulent profiter de la vue. Pour eux, les gains sont tangibles. Ils sont très motivés à les obtenir.

De l'autre côté, les coûts sont à moyen et long terme dilués à l'ensemble de la société et difficiles à mesurer. Même si les tracés des zones inondables étaient refaits avec précision, ils ne donneront qu'une probabilité. Il est impossible de savoir quand surviendra le prochain sinistre - cela peut être dans quatre ans ou dans 40 ans. Soit une éternité dans la vie d'un maire pour qui le long terme équivaut à sa prochaine campagne électorale. Et quand l'inondation surviendra, le provincial et le fédéral dédommageront les sinistrés, car les assureurs ne couvrent à peu près pas les inondations des crues printanières.

C'est donc toute la population qui paye. En d'autres mots, c'est comme si personne ne payait.

À cela s'ajoutent les coûts cachés liés à une inondation : routes à reconstruire, eau contaminée, intervention de l'armée, etc.

Et à l'inverse, les nouvelles constructions font perdre des bénéfices cachés. Les espaces verts et milieux humides rendent des services écologiques (purifier l'eau, freiner l'érosion, prévenir les inondations). Bien sûr, ils ont aussi une valeur en eux-mêmes, indépendamment de leur utilité économique. Mais on se contente ici de souligner que cette valeur économique est à la fois réelle, difficile à mesurer et rarement comptabilisée dans l'évaluation des projets.

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La Communauté métropolitaine de Montréal a commandé la semaine dernière un rapport sur l'aménagement du territoire et les risques d'inondations. Et le gouvernement Couillard veut réviser le tracé des zones inondables. Il promet de s'appuyer sur la « science ». Mais la science permet seulement de préciser les choix. Elle ne dit pas quoi choisir.

Ce choix - décider où construire - est politique, et il exige un minimum de vision. Cela est possible, comme le démontre l'ex-ministre de l'Environnement Yves-François Blanchet. En 2013, il avait été le premier à adopter un décret pour forcer des villes (Laval, MRC de Deux-Montagnes et MRC de Sainte-Thérèse-de-Blainville) à respecter le tracé des zones inondables. Personne ne l'avait utilisé avant lui.

Tant mieux pour les nouveaux tracés. Tant mieux pour la science et la transparence. Mais pour résister aux sirènes du profit immédiat, il faudra aussi ajuster nos calculatrices. Il faudra se rappeler que l'avenir dure longtemps.

350 millions

Somme que Québec prévoit verser aux sinistrés des récentes inondations exceptionnelles. Rappelons qu'une proportion importante des résidences touchées ne se trouvaient pas en zone inondable.

Un risque méconnu

Pas moins de 94 % des Canadiens qui habitent en zone inondable ne le sauraient pas, selon un sondage réalisé par des chercheurs de l'université Waterloo. L'échantillonnage est de 2300 Canadiens.

>>> Lisez l'étude complète 

Enfin, une loi !

L'attente fut longue, mais le ministre de l'Environnement David Heurtel a enfin déposé un projet de loi ce printemps pour protéger les milieux humides. Il prévoit le principe de « zéro perte nette ». Cela signifie que pour chaque destruction d'un milieu humide doit être compensée par la création d'un nouvel écosystème de la même taille.

Malgré certaines réserves, le projet de loi a été bien reçu par les environnementalistes.

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