L'idée revient à la même fréquence que les allégations de scandales libéraux : pour assurer l'indépendance des chefs des policiers et des procureurs, il faudrait changer la façon de les nommer. Le choix ne devrait plus être fait par le gouvernement. Il devrait plutôt provenir de l'Assemblée nationale, avec un vote des deux tiers des députés.

À la suite des gravissimes accusations non prouvées du chef syndical policier Yves Francoeur, l'opposition est revenue à la charge avec cette demande. Elle la réclame pour trois dirigeants : 

 - Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ;

 - Patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) ;

 - Patron de la Sûreté du Québec (SQ).

Or, quand on le scrute à la loupe, ce mode de nomination compte presque autant d'inconvénients que d'avantages. Et il s'attaque à un problème moins sérieux qu'on ne le prétend.

Pour le comprendre, il faut déterrer le rapport de la commission Charbonneau. Les commissaires parlent du mode de nomination du DPCP... pour le vanter ! Ils y voient un modèle pour l'UPAC.

L'indépendance d'un chef vient de deux choses. D'abord, de la façon de le nommer - il ne doit pas être choisi à cause de sa couleur politique. Ensuite, de la façon de le dégommer - il ne doit pas craindre d'être congédié ou de ne pas être renouvelé pour un autre mandat.

Cette protection existe pour le DPCP, conclut le rapport Charbonneau. En effet, le candidat provient d'une courte liste dressée par un comité indépendant. Et une fois en fonction, son mandat de sept ans n'est pas renouvelable. Pour le congédier, il faut un rapport spécial de la Commission de la fonction publique (un organisme indépendant), puis une justification par écrit du ministre.

Par contre, cette protection n'existe pas pour les patrons de la SQ ou de l'UPAC. Ils peuvent être destitués sans motif et sans préavis.

L'année dernière, le gouvernement Couillard a donc déposé un projet de loi qui prévoit entre autres que le patron de l'UPAC sera choisi et démis de la même façon que celui du DPCP.

Le problème demeure toutefois en partie pour la Sûreté du Québec. Certes, le gouvernement Couillard a changé en 2014 le mode de nomination - le patron de la SQ est désormais choisi par un comité d'experts indépendants. Mais un congédiement arbitraire demeure possible.

L'exemple de Toronto démontre pourtant l'importance de l'empêcher. Sans cette protection, le chef de police Bill Blair n'aurait pas pu tenir tête à Rob Ford. Le maire se serait débarrassé de lui.

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Pour assurer l'indépendance des patrons du DPCP, de la SQ et de l'UPAC, un vote de l'Assemblée nationale ne semble donc pas la priorité. Mais serait-ce tout de même utile ? Ce n'est pas certain.

Ce mode de nomination existe pour cinq officiers du Parlement (vérificateur général, protecteur du citoyen, commissaire à l'éthique, commissaire au lobbyisme et directeur général des élections). Il compte à la fois des désavantages et des avantages.

Le principal risque est celui du marchandage en coulisses. Ces tractations arbitraires peuvent mener au choix d'un candidat qui ne déplaît pas trop sans être le plus compétent, ou un candidat qui a « l'avantage » de ne faire peur à personne.

Cela peut aussi conduire à des blocages. Quelques exemples : l'intérim de trois ans du vérificateur général, pendant lequel ce dernier devait examiner le prétendu trou dans les finances publiques laissé par les péquistes tout en cherchant leur appui (il ne l'a pas eu). Il y a eu aussi le rejet d'une candidature de qualité, Tamara Thermitus, à la Commission des droits de la personne. Ou encore le récent vote sur le protecteur du citoyen, où les caquistes se sont abstenus.

Par contre, le vote aux deux tiers aurait aussi un avantage. Comme le souligne avec raison l'opposition, il existe une indéniable crise de confiance à l'égard de la police et de la justice. Un vote de l'Assemblée nationale renforcerait la perception d'indépendance de leurs dirigeants. Peut-être qu'un nouveau mécanisme permettrait d'obtenir ce gain tout en évitant le marchandage de coulisses.

Mais si elle veut être crédible, l'opposition doit montrer qu'elle cherche à régler la crise de confiance, et non à l'alimenter. Or, dans les derniers jours, on a vu le meilleur et le pire.

La péquiste Véronique Hivon a posé des questions précises et astucieuses sur le travail du DPCP sans déformer les faits ou faire de procès d'intention. Elle restait dans les limites acceptables du débat partisan.

On ne peut en dire autant des caquistes. Certes, dans les derniers mois, le parti a fait un excellent boulot pour dénoncer les nominations partisanes ou arbitraires dans la haute fonction publique et dans les tribunaux administratifs. Mais les caquistes dérapent maintenant en laissant entendre que la patronne du DPCP a été choisie par le Parti libéral et en répétant qu'elle devrait son poste à un « système d'influence ».

Les pompiers les plus crédibles sont ceux qui ne sentent pas trop fort l'essence.

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