Un aperçu de ce qu'on attend et espère de la nouvelle ministre des Affaires étrangères et responsable des relations commerciales avec les États-Unis

NE PAS ÊTRE STÉPHANE DION

À son élection, Justin Trudeau proclamait que « le Canada est de retour » sur la scène internationale. Il est vrai que le gouvernement Harper s'était hélas éloigné du multilatéralisme, notamment avec Israël. Mais même si Stéphane Dion a renoué avec cette tradition, il a un peu exagéré la rupture, comme l'a prouvé entre autres le maintien de la vente de blindés à l'Arabie saoudite.

Avec sa maladresse érudite, M. Dion a justifié cette décision par une nouvelle théorie, celle de la « conviction responsable ». Citer Max Weber n'a pas suffi à convaincre les Canadiens...

De plus, M. Dion a perdu le contact avec le bureau de Justin Trudeau. L'automne dernier, il persistait à dire que le Canada ne négociait pas un traité d'extradition avec la Chine, alors que c'est précisément ce que faisait son premier ministre.

L'arrivée de Chrystia Freeland devrait mettre fin à ces divagations et renouer avec l'habituel mélange de multilatéralisme et de réalisme prudent qui caractérise notre diplomatie.

APPRIVOISER DONALD TRUMP

De toute façon, le réalisme s'imposera à cause de l'imprévisible Donald Trump.

Le multilatéralisme canadien consiste habituellement à suivre le consensus de ses trois grands alliés : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Or, un tel front commun semble désormais fragile, et le Canada ne veut ni renier ses principes ni s'aliéner son voisin et principal partenaire commercial. Cela exigera un tact extrême.

Mme Freeland devra apprivoiser une administration Trump qui semble vouloir gérer la politique commerciale comme une business où certains pays gagnent et les autres perdent. Sa personnalité devrait l'aider - elle est réputée plus pragmatique que M. Dion, qui pouvait paraître à la fois distant et cassant.

La diplomatie est une affaire de relations. En plus de ses qualités humaines, Mme Freeland pourra miser sur sa connaissance des États-Unis. Dans un essai prescient publié en 2014, elle s'inquiétait des inégalités extrêmes qui s'y creusent. Les Américains risquent de perdre confiance en leurs institutions démocratiques, prévenait-elle, ce qui renforcerait les populistes et les ultra-riches. On sait maintenant où cela a mené.

DOMPTER LE MARCHÉ AMÉRICAIN

Reste qu'il est difficile de prévoir comment cela aidera la ministre à gérer le premier choc appréhendé : une possible renégociation de l'ALENA. Donald Trump veut d'abord serrer la vis au Mexique, mais il pourrait aussi avoir des demandes pour le Canada.

Ce nouvel écueil s'ajoute à un problème qui existait déjà sous le président Obama : celui des exportations. L'économie canadienne dépend particulièrement de ce qu'elle vend à son voisin. Or, sa part de marché y diminue depuis le début des années 2000 (de 17 % à environ 11 % aujourd'hui), entre autres à cause de la concurrence de la Chine et du Mexique. Sans oublier le conflit sisyphéen sur le bois d'oeuvre, qui reprendra dans les prochains mois.

Des dossiers d'une telle importance finissent toutefois par se négocier directement entre le président et le premier ministre. Et peu importe les personnalités, ils obéissent souvent à une loi implacable, celle du plus fort.

LA BARRIÈRE RUSSE

Cela a été répété : les relations entre Mme Freeland et la Russie commencent mal. La ministre y est interdite de séjour depuis ses critiques de l'annexion de la Crimée en 2014. Mais elle n'est pas seule ; des politiciens comme le libéral Irwin Cotler, le conservateur Andrew Scheer et le néo-démocrate Paul Dewar figurent aussi sur cette liste noire.

La nouvelle ministre pourra au moins miser sur sa connaissance de la Russie - elle a déjà travaillé à Moscou et en parle la langue. Et son scepticisme cadre avec la nouvelle mission de l'OTAN, qui a déployé quatre contingents dans les pays baltes pour dissuader la Russie de les envahir. Le Canada dirigera d'ailleurs la mission en Lettonie.

Le principal défi de Mme Freeland et de ses alliés sera plutôt de convaincre les États-Unis de ne pas se désolidariser de telles initiatives au profit d'un inquiétant flirt avec la « démocrature » russe. Le pessimisme peut se comprendre...

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