D'un côté, il y a l'argent. De l'autre, la santé publique. Devinez lequel pèse le plus lourd ? À Loto-Québec, la réponse n'a pas changé...

En 2012, la société d'État créait une vice-présidence « au jeu responsable et à l'engagement sociétal ». Elle promettait de concilier ainsi ses missions économiques et sociales. Il y avait une tension entre les deux et l'élastique a cédé, comme le prouve la troublante série d'enquêtes de La Presse+ sur les appareils de loterie vidéo (ALV) qui prolifèrent et qui sont parfois même gérés par le crime organisé.

L'échec de Loto-Québec se situe sur deux plans. D'abord pour les normes sur le jeu, comme les ratios d'ALV par habitant, qui sont à la fois laxistes et violées. Et ensuite pour la prévention auprès des joueurs, qui reste mollassonne et ambiguë.

La Coalition avenir Québec demandait avec raison hier qu'on repense la prévention. Ce volet devrait être dissocié de la société d'État et du ministère des Finances pour relever désormais du ministère de la Santé et des Services sociaux.

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Le problème n'est pas neuf. En 2002, Loto-Québec créait Mise sur toi, un organisme de prévention dit autonome qu'elle finançait toutefois. En plus de cette relative indépendance, le nom aussi avait été critiqué. Certes, le jeu de mots était réussi, mais le marketing ne fait pas toujours de la bonne science. « Mise sur toi » réduisait la prévention à une approche individuelle. Or, le risque provient de l'interaction entre une personne et son environnement - par exemple, le nombre d'ALV dans son quartier. En ne responsabilisant que l'individu, on déresponsabilise ceux qui gèrent l'offre.

En 2011, une publicité de Mise sur toi comparait même le jeu de hasard aux échecs ou au badminton. Le message : « le jeu doit rester un jeu ». Selon un sondage de l'Institut national de santé publique, 45 % des répondants n'y apprenaient rien sur le jeu excessif, et 20 % y voyaient une promotion du jeu.

En réaction à cette critique, une nouvelle campagne musclée avait été lancée en 2012 : « Tombe pas dans le piège ». Mais il y a eu un ressac. En 2012, encore à la recherche de revenus, Québec demandait 140 millions de plus en deux ans à Loto-Québec. Durant la même période, la société d'État avalait Mise sur toi. Elle convertissait l'organisme en une nouvelle division interne, la « vice-présidence au jeu responsable et à l'engagement sociétal ».

La société d'État exerce ses activités dans un contexte difficile. Le jeu de hasard traditionnel devient moins populaire - malgré la rénovation du casino ou l'alcool désormais permis aux tables, ses profits ont diminué de 2012 à 2015. Durant cette période, Québec cherchait désespérément à équilibrer son budget.

Cela n'est pas étranger aux dérapages révélés par les enquêtes de La Presse+. Et il n'existait pas de contrepoids en prévention assez sérieux pour en compenser les dégâts. La dernière campagne explique que les superstitions comme le fer à cheval n'augmentent pas les chances de gagner, car « c'est le hasard qui décide ». Il aurait fallu ajouter que le hasard lui-même n'est pas laissé au hasard... Il est organisé pour que les probabilités défavorisent les joueurs - c'est pour cela que cette industrie empoche des centaines de millions de dollars.

Ces critiques ne remettent pas du tout en question la pertinence de Loto-Québec. Au lieu de la prohibition ou de la libéralisation, le jeu doit être encadré. Mais cette réglementation devra être revue, d'une part pour les normes et leur application, et d'autre part pour la prévention.

Ce mandat doit être retiré de Loto-Québec, et revenir au modèle de Mise sur toi ne suffit pas. Autant l'organisme que la composition des membres devront être strictement indépendants. Car malheureusement, pour la prévention, on ne peut plus miser sur Loto-Québec.

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