Le débat sur la place de la religion est devenu si pénible que même lorsque les partis sont d'accord, ils ne réussissent pas à s'entendre.

Tous les élus veulent baliser les accommodements raisonnables. Tous veulent aider les écoles, hôpitaux et autres établissements à gérer les demandes de croyants. Mais huit ans après la commission Bouchard-Taylor, ces institutions sont encore laissées à elles-mêmes.

On en a eu un bel exemple le mois dernier, alors que deux écoles du nord de Montréal ont accordé un congé supplémentaire payé à des enseignants qui célébraient la fête du Sacrifice. Il s'agissait d'une injustice pour leurs collègues non musulmans, qui ne profitaient pas de cet avantage. Et aussi d'un problème de gestion, car la demande avait été formulée à la dernière minute et engendrait des coûts en suppléance.

Même si la décision était regrettable, on ne peut rejeter la faute sur ces écoles. En l'absence de règles claires, elles tentaient de leur mieux de se conformer à leur interprétation de la jurisprudence.

Après une interminable attente, les élus pourront enfin régler ce problème. Demain commence l'étude en commission parlementaire du projet de loi 62 (Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État).

Si des articles donnent une impression de déjà-vu, c'est parce qu'on recommence le travail. Les balises sur les accommodements raisonnables calquent celles prévues dans les anciens projets de loi.

Il y a eu celui du gouvernement Charest, qui a tardé à aborder ces enjeux, puis a laissé son initiative mourir au feuilleton. Et il y a ensuite eu le projet de charte péquiste, qui a au contraire instrumentalisé le débat à des fins électorales. À ne rien vouloir céder, on a fini par tout perdre.

Le gouvernement Couillard a prolongé l'attente en s'empêtrant dans son inutile et nuisible projet de loi sur les propos haineux. La ministre de la Justice Stéphanie Vallée ne pouvait pas faire avancer les deux en même temps.

***

Le projet de loi 62 empêcherait de donner ou recevoir des services de l'État avec un voile intégral (niqab ou burqa). C'est toutefois pour des raisons de communication, d'identification et de sécurité qu'on justifierait cette restriction. À la différence de la charte péquiste, la porte reste ainsi ouverte à des accommodements si ces buts peuvent être atteints d'une autre façon.

Outre cette nuance, le débat à venir portera surtout sur le grand désaccord qui demeure : le port de signes religieux par des agents de l'État.

Mais au contraire des demandes d'accommodements qui ressurgissent parfois dans l'actualité, cette question est à l'heure actuelle plus philosophique que pratique.

Deux visions de la laïcité s'affrontent. Selon la première, les fonctionnaires seraient indissociables de l'État, et donc assujettis au même devoir de neutralité religieuse. Selon la seconde, la laïcité ne concernerait que les institutions et les politiques. En interdisant aux employés les signes ostentatoires, on confondrait ainsi la laïcité avec le rejet de la religion.

Dans leur rapport, Gérard Bouchard et Charles Taylor ont coupé la poire en deux. Ils voulaient interdire le port de signes religieux aux juges, procureurs, policiers et gardiens de prison. La logique : ces agents sont indissociables de l'État car ils en exercent le pouvoir coercitif. Le devoir de neutralité s'appliquerait alors à eux aussi. On croyait que cette position fort raisonnable faisait consensus, mais elle paraît encore trop exigeante aux yeux du gouvernement Couillard qui prône une position minimaliste, soit de laisser ces professions gérer elles-mêmes les possibles demandes.

Il y a très peu de cas documentés de tels agents en autorité qui portent un signe religieux ostentatoire (aucun décompte officiel n'existe). Même si le débat demeure légitime, cela en relativise l'urgence. La portion la plus pressante de la loi porte sur les accommodements, et en plus, elle fait consensus.

L'opposition péquiste et caquiste a bien sûr tout à fait le droit de critiquer la loi et de promettre de la renforcer lors de la prochaine campagne électorale. Mais cela ne devrait pas empêcher de récolter le fruit des consensus avant qu'il ne pourrisse.

Contrairement au projet de loi sur les propos haineux, celui sur la neutralité religieuse n'est pas en soi nuisible - même ceux qui le critiquent pourraient l'utiliser comme point de départ pour le bonifier par la suite.

Surtout qu'en attendant, d'autres dossiers en justice accumulent la poussière, comme l'importante réforme du droit de la famille.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion