Ce n'est parce que c'est plus clair que c'est mieux.

Le Canada a simplifié sa politique d'exportation d'armes. Assez pour normaliser le contrat record de 15 milliards de dollars de blindés à l'Arabie saoudite, ce pays qui « égorge, tue et lapide ».*

Selon l'ancienne politique, Ottawa pouvait « imposer certaines restrictions aux exportations en fonction [de ses] objectifs politiques ». Cet obstacle disparaît dans la nouvelle version. Elle ne vise qu'à trouver un « équilibre » entre les « intérêts nationaux » et les « intérêts économiques et commerciaux des entreprises canadiennes », rapportait récemment le Globe and Mail.

Le fédéral élargit ainsi son bassin de clients. Et il limite aussi sa responsabilité. Avant de délivrer un permis d'exportation, Ottawa doit encore s'assurer que les armes ne seront pas « détournées à des fins qui pourraient mettre en danger la sécurité du Canada, de ses alliés ou de civils ». Mais il ne doit plus vérifier si ce sera le cas pour un autre pays - par exemple pour le Yémen, que l'Arabie saoudite bombarde depuis plusieurs mois, et où des blindés semblables au modèle canadien ont été aperçus l'hiver dernier.

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Le document révisé a au moins un mérite : rendre l'approche canadienne plus honnête.

Jusqu'à tout récemment, ce n'était pas le cas. Lors de la dernière campagne électorale, Justin Trudeau banalisait la vente des blindés. Il ne s'agirait que de « jeeps », prétendait-il - des jeeps de 25 000 kg, armés d'un canon... Après l'élection, son gouvernement disait avoir les mains liées par le contrat conclu sous les conservateurs. Or, l'autorisation finale a été accordée bien après, en mars, grâce à la signature de Stéphane Dion, ministre des Affaires étrangères.

Pourquoi alors le signer ? M. Dion n'a pas brillé par ses arguments. Il en a essentiellement fourni deux. Refuser la vente serait inutile, car d'autres pays exportateurs prendraient notre place. Et ce serait même nuisible, car le Canada s'aliènerait son allié saoudien, et perdrait alors la possibilité de l'influencer positivement.

Or, c'est justement pour cela qu'existe le traité de l'ONU sur le commerce des armes : pour forcer chaque pays à respecter des normes au lieu de s'en remettre au plus bas dénominateur commun. De plus, il est improbable que la transaction permette au Canada d'influencer, même modestement, une Arabie saoudite obsédée par l'Iran.

Un autre argument est parfois utilisé en faveur de la vente de blindés. Le Canada doit choisir ses alliés dans la région, et l'Arabie saoudite en fait partie, car elle collabore à la mission contre le groupe État islamique. Malheureusement, ce « réalisme » n'en finit plus de mener à des échecs. Dans la poudrière du Moyen-Orient où les conflits s'emboîtent comme des poupées russes, il est plus que jamais difficile de distinguer nos amis de nos ennemis. Ce qu'on sait par contre, c'est que l'Arabie saoudite importe nos armes et exporte l'islam le plus guerrier, celui qui sème la haine et la mort un peu partout sur la planète.

Au fond, la nouvelle politique canadienne ne fait que clarifier ce qu'on faisait déjà, soit chercher un équilibre entre les intérêts politiques et économiques.

Cet équilibre reste toutefois difficile à évaluer, car on connaît avec certitude l'impact financier du contrat (3000 emplois), tandis qu'on ne peut que spéculer sur ses conséquences politiques.

Le problème se trouve donc ailleurs. C'est que dans la balance, les principes finissent toujours par peser moins que l'argent.

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L'importateur d'armes numéro 1

Le Canada n'est pas seul à se demander s'il doit vendre des armes à l'Arabie saoudite. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, des élus ont dénoncé de telles transactions, sans réussir à convaincre leur gouvernement. Aux Pays-Bas, la manoeuvre pourrait fonctionner. En mars dernier, le Parlement y a voté une motion non contraignante pour interdire la vente d'armes à Riyad.

Si la question se pose dans tant de pays, c'est parce que la pétromonarchie a beaucoup de fournisseurs. L'Arabie saoudite est le plus gros importateur d'armes au monde, rapportait le mois dernier Bloomberg. En 2015, ses achats s'élevaient à 9,3 milliards US, une hausse de 50 % par rapport à 2014.

Quant aux exportateurs, en 2015, le Canada restait loin derrière le peloton de tête (États-Unis, Russie, Allemagne, France et Royaume-Uni).

* Selon l'expression de Kamel Daoud, écrivain algérien qui comparait l'année dernière l'Arabie saoudite à un groupe État islamique qui a réussi.

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