Le débat sur le projet de loi contre les discours haineux se résume à une question toute simple : pourquoi ? Pourquoi ce texte plutôt que rien ? Pourquoi risquer de restreindre la liberté d'expression alors qu'il n'y a pas de problème ?

Pour la limiter davantage, il faut avoir une bonne raison. Or, Québec n'en a jamais proposé une. Après 11 mois d'explications confuses et de concessions timides, il est temps de mettre ce projet de loi à sa place :  la poubelle. On a déjà perdu trop de temps.

Les propos haineux sont déjà balisés de deux façons. D'abord, par le Code criminel qui les interdit contre une personne ou un groupe. La preuve doit être faite hors de tout doute raisonnable, ce qui est difficile à établir. Mais c'est tant mieux ! La liberté de parole en dépend.

Ils sont aussi sanctionnés par le Code civil, mais seulement s'ils ciblent une personne identifiable, et non un groupe. Puisqu'il ne s'agit pas d'une infraction criminelle, la preuve est moins exigeante. Pour imposer une amende, il faut seulement démontrer que la thèse du plaignant est plus probable que celle de la défense.

C'est ce fragile équilibre qui régit la liberté de parole au Québec. En décembre 2014, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) l'a remis en question dans un mémoire sur « l'intimidation ». Sa proposition a été reprise dans le projet de loi de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.

Par un étrange détournement des mots, la lutte contre « l'intimidation » de la CDPDJ s'y est mutée en lutte contre la « radicalisation », un terme encore plus confus. Est-ce la radicalisation islamiste ? Si c'est le cas, le projet de loi sera nuisible, car les intégristes risquent d'en profiter pour faire taire les critiques de la religion.

Bien sûr, en vertu de la jurisprudence, on ne sanctionnerait que les propos extrêmes qui incitent à la violence. Il n'y aurait peut-être pas tant de condamnations.

Mais tout indique qu'il y aura beaucoup d'accusations, ce qui incitera à l'autocensure, plus insidieuse que la censure juridique.

Le projet de loi 59 a été conspué de façon unanime. Il engloutit le capital politique de la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, et il retarde l'étude d'autres projets de loi, comme celui qui encadrerait enfin les accommodements raisonnables.

Le pire, c'est que Mme Vallée avait glissé dans son projet de loi 59 des mesures intéressantes sur un tout autre sujet, les mariages forcés et les crimes motivés par une conception abjecte de « l'honneur ». Il aurait été si simple de le scinder en deux l'été dernier et de ne conserver que ce volet, comme le suggérait l'opposition.

À chaque jour qui passe, le recul devient moins honorable. Il ne reste qu'une chose noble à faire, recycler ce beau papier.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion