Il y a 33 lettres officielles du nouveau gouvernement qui semblent destinées au bac de recyclage, et ce n'est pas si grave.

En août dernier, juste avant de déclencher la campagne électorale, Stephen Harper précipitait 33 nominations à des organismes fédéraux comme Postes Canada ou l'Office national de l'énergie. Ces décisions ne pressaient pourtant pas, car les mandats arrivaient à échéance après le scrutin. Mais M. Harper a voulu décider à la place du futur premier ministre, au cas où ce ne serait pas lui. C'était tout à fait illégitime.

Il y a deux semaines, le gouvernement Trudeau a donc écrit aux personnes nommées. La missive en appelait à leur honneur. Elle les invitait à démissionner d'ici le 18 décembre afin qu'on recommence le processus de nomination. Bref, on a ouvert leur porte de bureau sans oser donner le coup de pied final.

L'échéance se termine aujourd'hui. Les libéraux refusent de dévoiler les réponses, mais selon divers reportages, seule la présidente du conseil du Centre de lutte contre les toxicomanies accepterait de quitter son poste l'hiver prochain.

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Que faire ? Pour l'instant, M. Trudeau a évité de se prononcer sur le mérite des 33 personnes. Ses lettres s'en tenaient au principe : M. Harper n'avait pas la légitimité pour les nommer.

S'ils veulent les dégommer, les libéraux devront examiner les candidatures à l'envers, en se demandant qui mérite le congédiement. Un tel rétropédalage risque d'être un gaspillage d'argent. Selon CTV, les indemnités coûteraient jusqu'à 18,5 millions. Ce serait aussi un gaspillage de temps. M. Trudeau devrait choisir ses batailles, d'autant plus que certaines nominations sont peut-être méritoires.

Et enfin, ce serait très maladroit. Ce n'est pas parce qu'une personne est choisie par un politicien que la nomination est partisane. Pour le conclure, la personne doit être choisie à cause de ses allégeances et malgré son manque de compétence. La bande des 33 ne devrait pas être présumée coupable de cela. Les lettres de M. Trudeau étaient d'ailleurs inélégantes. Il ne pouvait croire que ces gens démissionneraient en bloc. Ce serait demander beaucoup d'amour pour le pays... On est passé d'un excès de zèle à un autre.

La lettre a déjà envoyé un signal assez fort. Mieux vaudrait ne sévir qu'en cas de problème. Pour les 33 nommés, la première prise sera alors déjà la troisième.

Si M. Trudeau veut faire un geste utile, il devrait plutôt réformer le processus de nomination.

M. Harper avait tracé la voie en créant en 2006 un secrétariat des nominations publiques. Mais, comble de l'ironie, il y a nommé comme président un ex-patron de compagnie gazière et sympathisant conservateur. Le secrétariat a donc été dénoncé avant même de rendre sa première décision. Il n'a finalement jamais servi et a été aboli en 2012.

M. Trudeau devrait le reconstituer, ou du moins établir un nouveau mécanisme pour s'assurer que la compétence d'un candidat importe plus que sa couleur politique.

Le nouveau premier ministre sera jugé non pas à ses critiques des conservateurs, mais à ce qu'il fera pour empêcher que leurs erreurs se répètent. Y compris sous son règne.

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