On répète qu'il y aura un « avant » et un « après » Paris. C'est vrai, mais un peu parce qu'on a oublié les autres « avant ». En France, il y a eu plusieurs attentats réussis ou déjoués depuis Charlie Hebdo, comme celui du train Thalys. Et ailleurs, il y a eu Madrid, Londres, Bombay et l'avion russe écrasé dans le Sinaï il y a deux semaines.

La France et ses alliés ne viennent pas donc d'entrer en guerre. Ils l'étaient déjà. Plus de 6000 bombardements ont été effectués en Irak et en Syrie depuis 2014. Même le Canada, petit acteur, a participé en novembre à cinq missions de bombardements.

Le vendredi 13 des Parisiens constitue à la fois un réveil et une escalade. Réveil, car il marque la fin de l'indolence. Nos démocraties libérales, où toutes les idées se débattent, peinent à concevoir que des intégristes veuillent tuer pour les leurs. La sauvagerie extrême des fous d'Allah a prouvé que ce cauchemar était bien réel.

Et escalade, car les opérations militaires s'intensifieront. 

La difficulté, c'est de cerner la cible mouvante que devient le groupe État islamique.

L'année dernière, le spécialiste de l'islam politique Olivier Roy le qualifiait « d'épiphénomène ». Contrairement à la nébuleuse Al-Qaïda qui exporte le djihad, l'EI s'est territorialisé pour rétablir un califat, une sorte de Sunnistan voué à s'étendre.Mais l'hydre a pris plusieurs têtes.

Il prend la forme d'une lutte insurrectionnelle contre les régimes oppresseurs irakien et syrien - dont le dictateur Bachar al-Assad reste le tueur numéro un de la région. Et il prend aussi celle d'une lutte islamo-apocalyptique contre les mécréants. Ces opérations sont menées par d'ex-dirigeants baasistes irakiens ainsi que des islamistes syriens instrumentalisés par al-Assad, le tout avec le renfort de jeunes fanatiques recrutés à l'international.

Certes, il y a aussi eu des appels aux attentats à l'étranger, mais c'était plus un souhait qu'une opération planifiée.

Jusqu'à maintenant, l'EI n'a étendu ses tentacules qu'en Libye et en Égypte, où des groupes déjà actifs lui ont prêté allégeance. Pour le reste, son expansion est freinée à l'est par l'Iran, à l'ouest par la Russie et au nord par les Kurdes. Voilà pourquoi le président Obama se satisfaisait d'avoir « contenu » la menace, en attendant de trouver une solution de rechange en Syrie.

L'EI semble maintenant se débloquer en exportant son combat. Le niveau de coordination des attentats de Paris reste à vérifier, mais des analystes comme William McCants jugent que le Rubicon a été franchi vendredi dernier.

La riposte alliée se butera toutefois à une mathématique implacable. Si on fait recruter plus de djihadistes qu'on en tue, ce sera la défaite. Et plus les sunnites syriens seront attaqués par al-Assad ou les bombes, plus l'EI les séduira.

Ne pas s'impliquer serait immoral. Mais ce qui rend cette guerre effrayante, c'est qu'on ne sait pas encore comment la gagner, ni même à quoi une victoire ressemblerait.

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