Parler de la vie et de la mort remet d'habitude les choses en perspectives. Pas pour le gouvernement Harper, toutefois, qui soumet même cette question à ses intérêts partisans.

En février dernier, la Cour suprême invalidait les deux articles du Code criminel qui interdisent le suicide assisté. Elle accordait aux élus une année pour répondre au jugement.

M. Harper a passé près de la moitié du temps à tergiverser avant d'enfin lancer la semaine dernière un comité externe. Le rapport sera déposé d'ici la fin de l'automne. Soit juste assez tard pour ne pas devoir en parler en campagne électorale.

Le prochain gouvernement sera menotté. Impossible d'étudier le rapport, de rédiger un projet de loi, de consulter la population puis de l'adopter avant février 2016. Tout indique qu'il devra demander plus de temps à la Cour suprême. Si M. Harper avait été plus franc, il aurait lui-même réclamé un délai le printemps dernier. Mais il aurait été difficile de plaider sa propre turpitude.

Les conservateurs ont souvent accusé la Cour suprême « d'activisme judiciaire ». En y répondant par la démission politique, ils ont perdu toute crédibilité pour s'en plaindre.

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Certes, une campagne électorale n'est pas le théâtre idéal pour débattre sereinement de l'aide médicale à mourir. Et si on en faisait un enjeu électoral, il serait impossible de savoir si le prochain gouvernement aurait été élu en raison de sa position sur ce dossier.

Et même si c'était le cas, le dossier ne doit pas se régler en ne cherchant qu'un appui majoritaire. Il faut viser un large consensus. C'est l'exploit accompli par l'Assemblée nationale et sa commission itinérante « Mourir dans la dignité », dans laquelle tous les partis travaillaient ensemble.

Ç'aurait été le modèle idéal pour Ottawa. À la décharge des conservateurs, l'ambiance préélectorale et le calendrier imposé par la Cour suprême rendaient toutefois cette solution difficile.

Le comité externe est donc un choix défendable. Mais ce qui ne l'est pas, c'est le délai. Et ce qui laisse songeur, c'est le choix de ses membres.

Le choix du constitutionnaliste Benoît Pelletier est excellent. On peut par contre s'interroger sur celui des deux autres membres, Harvey Max Chochinov et Catherine Frazee, qui ont déjà pris position contre le suicide assisté. Mme Frazee a même exprimé son sentiment de « trahison » contre le « jugement radical » de la Cour suprême.

Bien sûr, il faut présumer de la bonne foi des membres, trois experts renommés, qui devront de toute façon travailler en respectant les balises établies par la Cour suprême. L'aide médicale à mourir doit être donnée par un médecin à un patient adulte consentant, qui souffre de douleurs persistantes et intolérables, à cause d'une maladie grave et incurable. Reste que plusieurs solutions s'offriront au comité pour respecter ces critères.

Voilà des questions sensibles et complexes que notre société est prête à aborder. Il ne lui manque qu'un gouvernement aussi mature qu'elle.

Les principaux choix qui s'offrent à Ottawa

Ignorer le jugement en invoquant la clause dérogatoire. Le ministre de la Justice Peter McKay a toutefois écarté cette « arme atomique ».

Ne rien faire et laisser les procureurs interpréter la loi à partir du jugement.

Effacer les articles 14 et 241 b) du Code criminel.

Réécrire ces articles pour permettre l'aide médicale à mourir, et en définir les balises.

Réécrire ces articles pour permettre l'aide médicale à mourir, et laisser les provinces l'appliquer comme elles le souhaitent. Par exemple, le Québec a déjà choisi de limiter l'aide médicale à mourir aux personnes en fin de vie, un critère qui n'est pas exigé par la Cour suprême.

Il serait périlleux de ne rien faire ou de simplement effacer les articles invalidés. Ce vide existe pour l'avortement, décriminalisé en 1988 par la Cour suprême, sans que le Parlement réussisse par la suite à adopter une loi.

Un tel vide serait plus difficile à appliquer pour l'aide médicale à mourir. En effet, on ne peut être à moitié enceinte. C'est moins clair pour une personne qui souhaite mourir. À partir de quand souffre-t-on assez ? Doit-on être en fin de vie ? Les maladies mentales peuvent-elles justifier l'euthanasie ? Moins il y a de balises, plus le risque de dérapage augmente.

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