Le crime de non-achat n'est pas sur le point d'apparaître au Canada. Malgré la microtempête médiatique suscitée par une interprétation des slogans conservateurs, boycotter Israël ne mènera pas du tout à la prison.

À la suite des attentats de Paris en janvier dernier, le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, manifestait au nom de la liberté d'expression. Deux semaines plus tard, un forum spécial sur l'antisémitisme était organisé à l'ONU. M. Blaney y affirmait que le Canada avait une politique de « tolérance zéro » à cet égard. Le boycottage de produits israéliens serait le nouveau visage de l'antisémitisme, soutenait le ministre.

Un reporter de la CBC a demandé ce que signifiait concrètement « tolérance zéro ». Une attachée de presse du ministère lui a récemment répondu en expliquant comment le Code criminel canadien permet de punir sévèrement le discours haineux. Elle n'a pas précisé si cela référait à l'antisémitisme en général ou au boycottage, ni ce que le gouvernement entendait faire avec cet arsenal juridique.

Malgré tout, certains ont conclu qu'Ottawa pourrait favoriser les poursuites contre les boycotteurs. L'hypothèse a même été relayée par le Haaretz, réputé quotidien israélien, et par Glenn Greenwald, journaliste d'enquête derrière l'affaire Snowden, le scoop de la décennie.

Mais cette menace ne sera pas mise à exécution. Même si le Code criminel est fédéral, c'est aux procureurs généraux des provinces que revient la décision d'intenter une poursuite. Or, aucune province n'a manifesté son intention d'aller en ce sens. La raison est simple : il n'existe pas le moindre argument juridique pour le faire.

Un discours ne devient pas haineux parce qu'il est déplaisant. Même l'incitation à la diffamation ou au dénigrement ne serait pas forcément haineuse.

Cette étiquette criminelle est réservée aux rares cas qui mènent à une forme « extrême » de détestation, rappelait la Cour suprême en 2013.

On peut juger que le boycottage contre Israël est injustifié ou inefficace. C'est ce que croient d'ailleurs les libéraux et néo-démocrates, qui le critiquent. Mais ce boycottage ne correspond absolument pas à la définition juridique d'un crime haineux. Le refus d'acheter un cabernet sauvignon israélien ne constitue pas une forme de détestation extrême d'un peuple, ni même d'un cépage...

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Le ministre Blaney a fermement démenti les rumeurs. Il aurait pu toutefois les prévenir.

La « tolérance zéro » constituait à la fois un message diplomatique d'appui inconditionnel et sans nuances à Israël, et un message partisan pour consommation interne. Le gouvernement a l'habitude de présenter ses politiques en slogans, et il n'aide pas à décoder ce qu'ils signifient concrètement. Des déclarations laconiques, envoyées par courriel sous forme de copier-coller, servent trop souvent de réponse.

Mais dans ce cas-ci, les faits sont limpides. La menace reste imaginaire.

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