Le Canada essaie de protéger son industrie pétrolière lors des négociations climatiques à Lima. Mais s'il tient vraiment à sa prospérité, il devrait ouvrir les yeux sur une menace qui gonfle chez nous dans une relative indifférence : la bulle carbone.

Pour limiter la hausse de la température mondiale à 2 degrés Celsius et éviter le pire, seul le tiers des réserves d'énergies fossiles connues pourront être brûlées*. Or, la valeur des sociétés pétrolières est basée sur l'entièreté de leurs réserves.

« La vaste majorité de leurs ressources sont inutilisables », s'inquiétait cet automne Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre.

Certes, le risque varie selon les sociétés, et il s'amortira sur plusieurs années. N'empêche que certains aperçoivent les nuages à l'horizon. La Banque HSBC a publié un rapport sur le sujet l'année dernière. Henry Paulson, ex-secrétaire du Trésor sous le président W. Bush, a même fondé le groupe Risky Business pour évaluer le danger.

De gros investisseurs se retirent déjà des énergies fossiles. C'est le cas du Rockefeller Brothers Fund, dont la fortune vient pourtant du pétrole. Son geste a été imité par quelque 180 autres fonds gérant un portefeuille de 50 milliards, rapporte l'agence Bloomberg.

La réponse du géant Exxon se résume en un mot : « bof... » Elle assure que la demande continuera d'augmenter.

Son scepticisme s'explique. Il y a 10 ans, les écologistes prophétisaient un pic de production pétrolière. Les ressources s'épuiseront, prévenaient-ils. Aujourd'hui, on observe plutôt le contraire. On n'avait pas prévu l'exploitation intensive des gisements non conventionnels.

Mais le nouveau risque est différent. Il s'agit d'un pic non pas de production, mais plutôt d'un pic de demande. Et cette demande dépend de la volonté politique. Certes, on ne peut prévoir ce que décideront les leaders mondiaux. Mais on peut savoir ce qu'ils devraient décider. Cette information, elle provient du consensus scientifique. Et il est clair : d'ici 2035, la planète doit diminuer sa consommation de pétrole de 12 %, et sa consommation de charbon de 30 %.

Plusieurs projets pétroliers pourraient se poursuivre malgré tout à court et moyen terme. Il ne s'agit donc pas de demander au gouvernement conservateur de larguer maintenant ce secteur. Mais il devrait le préparer à négocier ce virage majeur. La moindre des choses serait de le règlementer et de se doter de cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre.

L'industrie pétrolière et gazière plaidera que des inconnues pourraient changer ce diagnostic. Par exemple, la technologie facilitera peut être le captage de carbone. Mais les prévisions actuelles entrevoient un impact très limité. Et la technologie pourrait aussi réduire le coût des énergies renouvelables, et nuire à sa compétitivité. Sans compter que la baisse de la demande devrait réduire le prix du baril de pétrole. D'où le message de la Banque mondiale à ces sociétés : diversifiez et verdissez vos activités.

Le premier ministre Harper a raison de vouloir protéger l'économie canadienne, mais cela se fera mieux sans myopie.

*Selon les calculs de l'Agence internationale de l'énergie.

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