Le périple du vérificateur général (VG) au pays d'Hydro-Québec commence mal. Le shérif des chiffres rencontre la machine opaque, et ils sont incapables de parler le même langage, à part celui des lettres officielles et des avis juridiques.

Les deux doivent convenir rapidement d'un modusoperandi pour encadrer le nouveau pouvoir de vérification des contrats publics de la vache à lait des Québécois.

Depuis juin 2013, le VG peut fouiller à sa guise dans les livres des sociétés d'État afin de vérifier si l'argent y est bien dépensé. C'est ce qu'on appelle une «vérification d'optimisation». L'hiver dernier, le VG contactait donc Hydro-Québec pour obtenir les procès-verbaux du conseil d'administration des dernières années, ainsi que les documents et rapports liés à ces discussions.

Hydro-Québec est la plus grosse société d'État (quelque 22 000 employés et 73 milliards en actifs), et aussi la seule qui a refusé la demande. Fournir cette masse de documents constituerait pour elle un fardeau déraisonnable, plaide-t-elle. Mais au lieu d'invoquer seulement les problèmes pratiques, Hydro-Québec a aussi malheureusement attaqué la légitimité de la demande en commandant un avis juridique. Selon cet avis, elle ne serait pas obligée de fournir les documents antérieurs à l'adoption de la loi. Le VG a dénoncé cette interprétation «restrictive et contraignante».

Or, Hydro-Québec assure qu'elle lui fournira à l'avenir toute l'information pour une demande ciblée. Par exemple, si le VG se penche sur le chantier de la Romaine, la société d'État lui donnerait l'information depuis le début du projet, en 2006. Mais cela, on l'a malheureusement trop peu entendu. Même le VG ne semble pas en être au courant. La méfiance brouille leurs échanges.

Autre exemple: selon Hydro-Québec, le VG partirait à la pêche en demandant tous les procès-verbaux du conseil d'administration. Son mandat porte sur l'utilisation des fonds publics, plaide la société d'État. Il n'est pas un limier devant passer au peigne fin tous les contrats, à la recherche de malversation. En effet, cela relève plutôt de l'UPAC ou de la commission Charbonneau. Or, le VG dit vouloir les procès-verbaux justement pour se familiariser avec les dossiers de la société d'État, avant de procéder à des demandes plus ciblées. Hydro-Québec réplique en offrant au VG des séances de «formation», une expression qui l'insulte.

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Hydro-Québec rappelle qu'elle se soumet déjà à plusieurs mécanismes de reddition de comptes: son conseil d'administration, son actionnaire, la Régie de l'énergie et la comparution annuelle en commission parlementaire (mais les élus manquent de temps et d'expertise). À cela s'ajoutent les rapports internes d'Hydro-Québec sur son optimisation des ressources et sur ses enquêtes (rapports remis à l'UPAC et à la commission Charbonneau, mais pas au VG).

Mais malgré ces mécanismes, des informations cruciales échappent parfois au débat public. Par exemple, les dépassements de coûts majeurs à la centrale nucléaire Gentilly-2 sont restés cachés en 2012 durant la campagne électorale.

En outre, les médias se butent aussi souvent à un mur. Hydro-Québec profite de la loi désuète sur l'accès à l'information pour transformer plusieurs demandes des médias en litige.

L'arrivée du VG est donc bienvenue. Le dialogue de sourds devra cesser. Et Hydro-Québec devra laisser tomber son bouclier juridique. C'est de toute façon une bataille perdue à long terme, car la nouvelle loi restera en vigueur.

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