Même King Jong-un peut parfois avoir raison. Le dictateur nord-coréen a qualifié The Interview de nouvel «acte de guerre». Ce n'était pas l'intention du film, mais c'est un peu le résultat. Il marque des points dans la guerre pour les esprits.

La comédie américaine, qui prendra l'affiche cet automne, raconte l'histoire de deux journalistes recrutés par la CIA pour assassiner King Jong-un.   Ils se moqueront au passage de mythes sur l'infaillibilité du jeune tyran, qui n'urine ni ne défèque, en plus de jaser avec les dauphins, selon la propagande officielle.

Avec son air de chérubin au visage de pâte, le despote fait sourire. Mais il devient moins drôle quand on se souvient qu'il a récemment fait arrêter, juger et exécuter son oncle, qu'il pourrait mener un quatrième essai nucléaire et, un jour, même si c'est très peu probable, appuyer sur le bouton rouge.  

Pour l'arrêter, il y a la menace des armes et des sanctions économiques. Elles ont toutefois prouvé leurs limites. Heureusement, l'arsenal ne s'arrête pas là. Il comprend aussi ce que le politologue Joseph Nye a baptisé dans les années 90 le «soft power». C'est l'influence par le pouvoir de l'exemple. Changer le comportement sans contrainte. La Chine l'exerce avec ses Instituts Confucius. Les États-Unis misent notamment sur leur culture - autant celle de Harvard que de Hollywood. Par exemple, un blockbuster américain sur un couple gai pourra promouvoir l'égalité de droits dans les régimes répressifs.

Le professeur Nye a toutefois déjà douté de l'efficacité du «soft power» pour la Corée du Nord. Il soutenait que le régime proto-stalinien ne serait pas attendri par les arguments rationnels ou la thérapie culturelle. Et que sa population, affamée et isolée, restait relativement à l'abri de telles influences.

Or, le contexte a changé dans les dernières années. La culture dématérialisée rend les barrières nord-coréennes plus poreuses. Des citoyens s'échangent des films sur le marché noir par clé USB, au risque de se faire payer un voyage aller simple vers les camps de rééducation.

De plus, le régime a lui-même entrouvert ses frontières aux marchands chinois. Et d'autres pays s'invitent. La Corée du Sud envoie clandestinement des ballons chargés de journaux et films, rapporte Benoît Hardy-Chartrand, politologue spécialiste de la région.   

Cela explique la réaction de Pyongyang. L'indignation avait été beaucoup plus mesurée quand les créateurs de South Park s'étaient moqués du régime il y a 10 ans avec leur film Team America. Mais une plus grande proportion de Nord-Coréens devrait voir The Interview, qui leur montrera que le dictateur est nu.

Certes, le film ne suffira pas à allumer une insurrection demain, ni la semaine prochaine. L'obscurantisme qui enveloppe la Corée du Nord n'est pas encore sur le point d'éclater. Mais il faut parfois des milliers de petites fissures avant que la coquille ne cède. Ce serait la façon la moins douloureuse de faire éclore la liberté.

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