Après avoir répondu mardi aux craintes de dérapages dans l'application de l'aide médicale à mourir, nous répondons aujourd'hui aux critiques morales.

Le débat est sensible, les mots sont chargés. La vie est «sacrée», disent ceux qui critiquent la moralité de l'aide médicale à mourir.

L'argument se présente sous trois formes. La première est religieuse. On ne pourrait s'enlever la vie, car elle a été donnée par Dieu.

La deuxième forme est une relique du discours religieux. Une intuition pas toujours articulée incite à voir quelque chose de mal dans l'euthanasie. Elle dénote un malaise causé par la rupture rapide de notre société avec le religieux, et par son matérialisme où la mort ne mène plus qu'au néant.

Ces deux critiques ne sont pas convaincantes. L'État ne doit pas être gouverné en fonction d'une vision du bien. Il doit plutôt chercher le juste, soit les conditions qui permettent à chacun, à l'intérieur de certaines balises choisies par la société, de poursuivre sa propre vision du bien.

Le caractère sacré de la vie peut aussi être défendu d'une troisième façon, laïque. On l'assimile alors à la dignité humaine. La vie aurait une valeur intrinsèque. La préférence d'une personne, même celle de vouloir mourir, devrait être subordonnée à la personne elle-même, soit le sujet de ces préférences. C'est la valeur suprême qui fonderait toutes les autres.

L'argument est fort, mais il ne suffit pas à nous convaincre. Il propose une vision désincarnée de la dignité humaine, comme si elle existait hors de la personne qui la porte.

La dignité devrait au contraire servir à défendre l'aide médicale à mourir. Ce qui la fonde, c'est notre autonomie. Et cette autonomie doit particulièrement être respectée quand vient le temps de choisir le sens à donner à sa vie, ou de choisir quand elle n'en a plus.

C'est d'ailleurs cette interprétation qu'ont retenue nos tribunaux. Depuis 1994, le Code civil s'appuie sur l'autonomie et «l'inviolabilité» de la personne pour permettre d'arrêter un traitement médical, même si cela accélère sa mort.

Bien sûr, l'autonomie n'est pas absolue. Sinon, cela conduirait à des aberrations, comme légitimer toutes les demandes de suicide. Mais elle peut être balisée par des critères stricts comme ceux de la loi québécoise (malade en fin de vie, souffrance constante, intolérable et irréversible). Des conditions sous lesquelles la vie a atteint la fin de ses possibles.

Il existe une dernière critique morale, fondée sur le rapport de notre société avec la mort. Selon la nouvelle loi québécoise, l'aide médicale à mourir constituerait un «soin de fin de vie». Certains craignent qu'on réduise la mort à un acte clinique, presque hygiénique, vide de sens. Il faudrait vivre l'importance définitive de ce moment. Certes, réussir sa mort est un noble idéal. Mais cela n'autorise pas d'empêcher autrui de choisir comment le faire.

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