Rarement a-t-on vu une fin de travaux parlementaires se dérouler dans un tel capharnaüm. Rarement a-t-on vu autant de ministres échaudés, autant de volte-face, parfois même en l'espace de quelques heures, comme ce fut le cas jeudi sur la question des pitbulls.

Même les intentions de vote commencent à s'en ressentir, signe évident que le gouvernement ne peut plus se réfugier derrière les sondages pour faire abstraction de la débandade.

Le premier ministre Couillard voit arriver les vacances avec un soupir de soulagement. Rien ne justifie pourtant de mettre le couvercle sur la marmite pour deux mois. Au contraire, il doit profiter de ce répit pour donner un sérieux coup de barre à son navire qui, clairement, ne navigue pas sur les « eaux plus tranquilles » promises.

À peine rendu à la moitié d'un premier mandat, le gouvernement Couillard envoie trop de signaux inquiétants.

Les problèmes se multiplient, au point d'éclipser les (rares) bonnes nouvelles.

Il faut souligner le retour à l'équilibre budgétaire, un pari réussi. Signe de la confiance ambiante, le Québec vient de se voir attribuer une cote de crédit supérieure à celle de l'Ontario, un revirement historique. Ce n'est pas rien.

La ministre Dominique Anglade multiplie les occasions de présenter la nouvelle vision économique du Québec. On est encore à l'étape des intentions, mais un signal positif est envoyé.

Malheureusement, le gouvernement semble incapable de capitaliser ses bons coups, constamment empêtré dans les controverses. Et c'est en grande partie de sa faute.

Le premier ministre et son entourage minimisent les crises et attendent avant d'agir, au point où on se questionne sur leur sens aiguisé de la joute politique. C'est même franchement inquiétant.

Faire peu de cas de l'ex-ministre Sam Hamad, parti en Floride pour fuir les questions sur son intervention dans la subvention accordée à Premier Tech (le commissaire à l'éthique vient de trancher qu'il a été « imprudent » dans cette affaire) ; vanter les bons services de la sous-ministre Dominique Savoie, puis la dégommer 24 heures plus tard ; démettre de ses fonctions le chef de cabinet, Pierre Ouellet, et lui offrir un emploi dans un autre cabinet, sous la recommandation du premier ministre, avant de devoir le démettre une nouvelle fois... n'ayant pas prévu que cela enverrait une image négative et susciterait la grogne.

Mais à quoi pense-t-on au cabinet de M. Couillard ?

Au mieux, c'est un manque de sensibilité chronique. Au pire, une incapacité à gérer la controverse avant qu'elle n'éclate en crise. Pendant ce temps, « les vraies affaires » n'évoluent pas comme elles le devraient.

L'obligation de reculer sur plusieurs projets de loi le démontre parfaitement. En quelques semaines, les libéraux ont dû faire un virage à 180 degrés en éducation et retirer le discours haineux du projet de loi sur la radicalisation. Ils ont été vivement critiqués sur la réforme de l'aise sociale. Et que dire de la saga d'Uber !

Nous avons salué en ces pages certaines de ces décisions, surtout en éducation. Vaut mieux se rétracter, effectivement, que foncer dans un mur.

Mais le portrait n'est pas rassurant. La question se pose : le gouvernement écoute-t-il suffisamment ? Comment expliquer, sinon, le dépôt de projets de loi aussi mal préparés ?

Même les députés n'ont pas l'oreille des ministres et de l'entourage du premier ministre, au point où une réunion d'urgence du caucus a été organisée récemment pour « laver le linge sale en famille » et ventiler les frustrations.

Autant de grogne, à peine deux ans après l'élection, est de mauvais augure.

Les ministres multiplient les impairs. Jacques Daoust est sur la sellette, au point où son avenir au sein du conseil des ministres soulève des questions. Ses réactions et celles du premier ministre qui s'est porté à sa défense donnent l'impression que tous deux prennent la situation à la légère.

C'est une erreur. Quand une perception s'installe, elle s'ancre rapidement jusqu'à devenir certitude dans l'esprit des gens.

M. Daoust n'est pas le seul ministre qui paraît mal. Les rares fois où Rita de Santis a pris la parole publiquement ont suscité l'embarras. Lucie Charlebois s'est empêtrée dans ses déclarations sur la fermeture du centre de désintoxication Mélaric, les fugues d'adolescentes prisonnières de proxénètes et la crise des centres jeunesse, qu'elle a maladroitement réduites cette semaine à une « situation en évolution ». Quant à Gaétan Barrette, ce n'est pas la mollesse de ses propos, mais bien le contraire qui fait du tort. Son ton cinglant, insultant, qui ne laisse place à aucune critique, éclipse son efficacité à réformer la santé ou, à tout le moins, son intention de le faire.

Ce qui fait le plus mal, c'est la perte de confiance généralisée dans l'opinion publique. Le premier ministre Couillard avait promis de tirer un trait sur le passé, dans la foulée des scandales de la commission Charbonneau.

Les crises qui se succèdent depuis janvier révèlent que les libéraux ne réussissent pas à dissiper les doutes. Le manque de transparence, les allégations de fabrication de faux documents et l'intimidation au ministère des Transports, un « cancer » selon François Legault, noircissent considérablement le portrait.

Dans ce cas précis, ce n'est pas tant les élus que l'administration publique qui est en cause. Mais en fin de compte, les yeux se tournent inévitablement vers le premier ministre. Encore.

À lui de faire le ménage. Il ne peut plus attendre en espérant que la tempête passe d'elle-même. Le bateau prend l'eau dangereusement.