Vous n'avez pas la berlue. C'est bien le premier ministre Justin Trudeau et sa femme Sophie Grégoire qui chantent Vive le vent, relevant le défi lancé par P.K. Subban afin de ramasser des fonds pour les enfants malades.

Le même Justin Trudeau à qui le magazine Vogue consacre un reportage dans son édition de janvier, qui fait hurler des admiratrices sur son passage (au sommet de l'APEC), qui choisit d'accorder des entrevues aux médias dans un café ou un métro pour rencontrer les citoyens et qui ne refuse jamais de poser avec eux pour la postérité.

La carte de la popularité, il l'exploite à fond, au point où certains le surnomment « le premier ministre selfie ». En fait-il trop ? C'est le risque. M. Trudeau avance sur une glace fragile, mais jusqu'à présent, il semble doser ses pas.

Cette image d'un premier ministre flamboyant étonne. Elle détonne même, car voilà longtemps qu'on n'avait pas vu un élu canadien se prêter au jeu avec autant d'aisance. C'est désormais l'époque. Il semble incontournable pour un politicien de maîtriser un tant soit peu l'art de l'image ; même Barack Obama a fait des grimaces devant un miroir pour convaincre les Américains d'endosser sa réforme de la santé.

Ce qui est impératif, c'est que le souci de l'image ne ternisse pas les fonctions de premier ministre. Pour l'instant, Justin Trudeau réussit à manoeuvrer habilement en évitant les pièges.

Derrière ce portrait léché de politicien, de père et de mari bien de son temps se dessine d'ailleurs un homme de convictions. Quand viendra le temps de procéder au bilan des 100 premiers jours du gouvernement libéral, il faudra reconnaître qu'il a agi prestement pour jeter les bases de plusieurs engagements.

M. Trudeau a fait des gestes concrets en faveur d'un gouvernement plus ouvert et transparent ; il a annoncé la commission d'enquête sur la disparition et l'assassinat de femmes autochtones ; il s'efforce de se positionner avantageusement en matière d'environnement, il a mis en place un plan d'accueil des réfugiés syriens.

À l'étranger, le Canada fait parler de lui en termes élogieux. Dans un éditorial, le New York Times a louangé le fait que le premier ministre ait accueilli personnellement les réfugiés à leur descente de l'avion. Toujours sur la question des réfugiés, le Washington Post a écrit que « le Canada trace la voie ». Rien de moins. Le premier ministre canadien aura également droit à un dîner d'État à l'occasion de son passage prochain à la Maison-Blanche, un honneur qui n'a pas été vu depuis l'époque Chrétien-Clinton.

Mais les défis s'en viennent. Après l'accueil des réfugiés, il faudra les intégrer. Après les promesses sur les infrastructures, il faudra faire l'arbitrage entre les provinces et respecter le cadre financier. Déjà, le déficit prévu de 10 milliards n'est plus qu'un « objectif ». Le prochain budget, dans un contexte économique moins dynamique que prévu, sera d'ailleurs un test important.

Souhaitons qu'au fil des mois, les questions d'image ne fassent pas oublier la consistance et les enjeux importants. Souhaitons aussi que le rôle difficile de premier ministre n'éclipse pas totalement la nature de Justin Trudeau, près des gens, bien que cette conciliation risque de lui donner passablement de cheveux gris, comme l'a d'ailleurs prédit le président Obama.