La société a toléré trop longtemps ce qui est devenu un état de fait: quand on est malade, voir un médecin - idéalement son médecin - s'avère pratiquement une mission impossible.

Avec son projet de loi 20, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, pose un geste nécessaire en passant des carottes au bâton.

Les médecins qui ne travaillent pas assez ou qui ne voient pas suffisamment de patients s'exposeront à une pénalité financière. Leur rémunération pourrait diminuer de 30%. Québec établira aussi leur «taux d'assiduité» en calculant le nombre de fois qu'ils voient leurs patients comparativement au nombre de fois où ceux-ci consultent ailleurs.

Pour améliorer l'accès à un médecin, le gouvernement a augmenté les admissions en médecine; le Québec compte maintenant plus de médecins que l'Ontario. Une hausse substantielle de leur rémunération a été consentie pour effectuer un rattrapage avec le reste du Canada. Des primes incitatives ont été instaurées pour favoriser la prise en charge des patients. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec évalue que le médecin qui travaille dans une clinique puise maintenant 40% de sa rémunération en montants forfaitaires et 60% avec le paiement à l'acte.

Pendant ce temps, le nombre de jours travaillés par les médecins a diminué. À coups de statistiques, le ministère et la communauté médicale ne s'entendent pas sur la «productivité» des médecins.

Mais un fait demeure: quand ils sont malades, 40% des Québécois ne sont pas en mesure de voir un médecin le jour même ou le lendemain, a révélé le Rapport sur les perceptions et les expériences de soins des Québécois.

L'annonce de mesures coercitives à venir a provoqué la colère dans le milieu. Il ne faut pas s'en étonner. Certains médecins menacent de se tourner vers la pratique privée. Ils devront alors travailler encore plus fort, car dans le régime public, ils bénéficient du statut de travailleurs autonomes tout en ayant des revenus et des patients garantis par l'État.

D'autres affirment qu'à l'avenir, ils verront seulement des patients en bonne santé, pour maintenir un bon «taux d'assiduité». C'est un chantage odieux. La responsabilité d'un médecin est de s'occuper des malades. S'occuper de patients âgés ou de malades chroniques demande plus de temps, c'est vrai. Voilà pourquoi l'aide des infirmières, qui s'occuperont de l'éducation à donner aux patients, peut s'avérer utile. Il faut profiter du coup de barre actuel pour réaliser le changement de culture préconisé depuis trop longtemps dans le réseau de la santé.

Un ministre qui menace d'utiliser le bâton contre des médecins pose un geste courageux. Souhaitons maintenant que les consultations à venir permettent d'obtenir l'adhésion nécessaire pour que le projet de loi soit réalisable. Le Québec n'a plus les moyens de continuer dans la voie actuelle.