Il n'y a pas si longtemps, on se scandalisait en lisant sur ces familles japonaises qui ne reculaient devant rien pour que leur enfant accède à la meilleure école. Et on levait les yeux au ciel lorsqu'on apprenait que des New-Yorkais nantis étaient prêts à soudoyer le directeur d'une école réputée de Manhattan pour être certain que leur enfant soit accepté. Voilà que cette folie atteint Montréal. Que s'est-il passé?

Des reportages parus au cours des derniers jours décrivent un climat compétitif qui n'a rien à envier aux Japonais et aux New-Yorkais.

La semaine dernière, le Téléjournal de Radio-Canada décrivait la folie entourant la période d'examens d'entrée à l'école secondaire privée. Des entreprises d'aide à la préparation aux examens qui poussent comme des champignons, des parents stressés, des enfants sous pression qui ne veulent pas décevoir papa et maman Puis, il y a ce reportage de notre collègue Katia Gagnon, dimanche dernier, qui nous a fait découvrir des garderies hyper-performantes où les enfants ne jouent pratiquement pas dehors parce qu'ils n'ont pas le temps Ne nous racontons pas d'histoire. Si ces établissements existent, c'est qu'il y a des parents preneurs. Des parents pour qui il est très important qu'un enfant ait appris la musique, la poésie et une seconde langue AVANT son entrée à la maternelle.

Bien sûr, les parents qui choisissent les écoles axées sur la performance souhaitent ce qu'il y a de mieux pour leur enfant. Personne ne peut le leur reprocher. On peut toutefois réfléchir au contexte dans lequel cette course à la performance s'exprime.

Est-ce que la crise de confiance dans l'école publique y est pour quelque chose? Sûrement. À force de se faire dire que le secteur public a échoué (et ce, même si la réalité est sans doute moins sombre qu'on le dit), les parents se ruent vers l'école privée comme des naufragés sur une bouée de sauvetage. On les comprend. Personne ne souhaite que son enfant fasse les frais d'un système en déroute. Mais il y a plus. Ne sommes-nous pas en train d'appliquer à l'éducation de nos enfants la même approche que celle pratiquée dans certains milieux de travail: investissement, objectif, performance, rentabilité N'est-ce pas désolant?

Les psychologues qui étudient le phénomène de performance en milieu scolaire disent que ce sont souvent des parents insatisfaits de leur propre vie qui fondent les plus grands espoirs dans celle de leur enfant. L'explication est peut-être simpliste, mais personne ne peut nier que pour bien des parents, l'enfant est un projet. Et que ce projet doit réussir.

On s'inquiète souvent des conséquences d'un manque de stimulation sur le développement psychologique des enfants, mais le contraire est tout aussi troublant. Si le stress fait des ravages chez les adultes, imaginez son effet sur les plus jeunes.

On s'extasie devant une petite fille de 3 ans qui mange un épi de blé d'Inde sans laisser tomber un seul grain On trouve extraordinaire qu'un enfant qui n'a pas 3 ans puisse compter jusqu'à 100. Ce que ces belles histoires ne disent pas, toutefois, c'est que ces enfants performants sont peut-être couverts d'eczéma, qu'ils dorment mal la nuit, ou qu'ils développent leur premier ulcère d'estomac. Est-ce vraiment la vie qu'on souhaite pour nos enfants?

nathalie.collard@lapresse.ca