L'esprit répugne à concevoir une telle chose. Une guerre, une vraie, en territoire européen au XXIe siècle? Une guerre opposant une grande puissance impériale à une nation vassale dépourvue de la moindre chance de lui résister?

Inimaginable.

Pourtant, la situation en Crimée évoluait chaque minute, hier, et pas dans le sens d'un apaisement entre Moscou et le gouvernement de transition mis en place à Kiev après les soulèvements populaires. En fait, c'était l'escalade. «Nous sommes au bord du désastre», déclarait en point de presse le nouveau premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk.

Pendant la journée, la tension a monté dans et autour des bases militaires de la péninsule, quadrillée par 20 000 militaires russes, estime-t-on. Au moins six navires de guerre russes manoeuvraient ostensiblement au large de Sébastopol, où mouille la flotte russe de la mer Noire. Et les bruits couraient. Des soldats russes étaient-ils vraiment occupés à barrer la langue de terre rattachant la Crimée au reste du territoire ukrainien et à désarmer les garde-frontières? Le nouveau chef de la Marine ukrainienne, l'amiral Denis Berezovski, s'est-il vraiment rangé du côté des Russes en prêtant allégeance «au peuple de la République autonome de Crimée» ? Dans tous les cas, ça s'est avéré exact.

Ce qui signifie: déjà, sans tirer un seul coup de feu, la Russie a bel et bien pris le contrôle de la Crimée.

C'était prévisible. Les Russes y sont largement majoritaires, s'appuient sur l'Histoire et n'ont jamais caché leur fidélité à la mère patrie. La flotte russe y est installée depuis le XVIIIe siècle. La cession de la presqu'île à l'Ukraine, en 1954, est souvent vue comme une erreur de Nikita Khrouchtchev... alors en état d'ébriété, veut aujourd'hui la rumeur habilement colportée à Moscou!

Bref, en Crimée, un retour en arrière apparaît plus que douteux, quelles que soient les pressions exercées sur Vladimir Poutine.

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D'ailleurs, on comprend déjà que les moyens de pression à la disposition d'une communauté internationale presque unanimement réprobatrice sont très limités.

Décréter un train de sanctions? Isoler économiquement la Russie? L'exclure du G8, ce qu'a évoqué le secrétaire d'État américain, John Kerry? Cela sert pour l'instant de menace ultime. Et dans un premier temps, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et le Canada se sont retirés des travaux de préparation du prochain sommet des huit, prévu en juin à... Sotchi.

Enfin, utiliser la force? Justement, c'est inimaginable.

Car Vladimir Poutine «assume», comme on dit. Lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts de la grande Russie dans sa zone d'influence, il assume les conséquences, comme il l'a prouvé en Géorgie en 2008, y compris celles découlant de l'usage de sa machine militaire.

Au total, la brutalité est payante, considère-t-il de toute évidence. Et, à ce jour, il n'a pas eu tort.

mroy@lapresse.ca