C'est un conflit politique et social aux dimensions multiples, un conflit de générations, d'identités, d'intérêts économiques, de visions opposées de l'avenir du pays. La «rue» ukrainienne est mobilisée depuis plusieurs jours, ce qui rappelle la Révolution orange de 2004. L'épicentre des manifestations populaires se trouve au même endroit, place de l'Indépendance, à Kiev. De la même façon aussi, l'affrontement se porte sur la scène internationale.

Mais, cette fois-ci, il y a eu de la violence. Samedi et dimanche derniers, la police est intervenue de façon si féroce que le procureur général a dû ouvrir une enquête criminelle sur le comportement des forces de l'ordre.

L'occupation de la place et de certains édifices publics, dont l'hôtel de ville, se poursuit donc. La «rue» n'est pas isolée. Trois ex-présidents ayant officié depuis 1991 - Kravtchouk, Koutchma, Iouchtchenko-appuient la mobilisation. Et, jeudi, le ministre des Affaires étrangères du Canada, John Baird, s'est joint aux manifestants et a été salué par la foule.

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De quoi est-il question?

D'une affaire qui torture le pays depuis son indépendance, en 1991, dans la foulée de l'implosion de l'URSS. Pour faire court, c'est l'Est contre l'Ouest, une sorte de bégaiement de la guerre froide: l'Ukraine doit-elle conserver et même intensifier ses liens avec la Russie ou plutôt se tourner vers l'Europe?

Les dizaines de milliers de personnes qui manifestent à Kiev (sans compter les grèves générales dans d'autres régions), armées du drapeau étoilé de l'Union européenne, sont apparues lorsque le processus d'intégration continentale a été rompu par le gouvernement, proche de Moscou.

Ce que ces gens veulent, surtout les jeunes, c'est l'accès à la prospérité occidentale: en deux décennies, même dégagée de la poigne soviétique, l'Ukraine n'a pas réussi à vraiment décoller. 

Mais est-ce si simple? Bien sûr que non. La population est très divisée.

L'Ukraine est organiquement liée à la Russie depuis des siècles. Elle abrite une minorité russe importante - laquelle a du pouvoir - et compte davantage encore de russophones. Du point de vue économique, le lien est serré. Et cheminer vers l'Europe ne serait pas qu'une partie de plaisir: participer à une économie moderne et compétitive nécessiterait dans l'immédiat de lourds investissements et coûterait des dizaines de milliers d'emplois.

En outre, l'Ukraine constitue non seulement un enjeu économique et politique, mais aussi stratégique, pour le «tsar» Vladimir Poutine. Ainsi que pour l'Ouest et les États-Unis en particulier, qui tentent depuis 1991 - pas toujours subtilement - de faire basculer de leur côté cette «petite Russie», comme l'Histoire l'a souvent nommée, allongée aux portes de la grande.

Les Ukrainiens devront un jour en décider. Il faut juste espérer que ce sera de façon démocratique, informée et sereine.