À l'occasion des audiences de la commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre, nous publions aujourd'hui le second de deux éditoriaux. 

Au Québec, 49% des adultes ont du mal à lire et 800 000 sont analphabètes. Notre taux de lecture est le plus bas au Canada, seulement 46% de lecteurs réguliers, et il chute; il est encore moindre (37%) en ce qui a trait aux ouvrages littéraires. L'illettrisme, souvent lié à la pauvreté, se transmet de génération en génération. Chez les enfants, seulement le tiers des garçons et 52% des filles lisent par plaisir.

Cela identifie de façon claire le premier «ennemi», non seulement des libraires, mais de toute l'industrie du livre, dont les ventes ont diminué de 2,5%, 4,9% et 4,1% depuis trois ans.

Les Québécois, au pire ne savent pas lire, au mieux lisent très peu. Aux yeux de quiconque est épris de justice sociale, se préoccupe de culture et croit à l'écrit, tout le reste relève pour le moment de l'accessoire.

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Ces faits ont été exposés devant la commission parlementaire qui étudie l'opportunité de réglementer le prix du livre de façon à favoriser les librairies indépendantes. Ils l'ont été par Diane Mockle, de la Fondation pour l'alphabétisation, selon qui s'en prendre dans ce contexte aux rabais consentis par les grandes surfaces «n'est pas désirable».

De fait, le fossé est abyssal entre le problème sous examen et les difficultés réelles auxquelles est aujourd'hui confrontée l'édition. Et surtout les problèmes auxquels elle fera face demain.

Déjà, en 1995, Fabrice Piault prévenait (dans Le Livre, la fin d'un règne): «Loin de constituer un facteur qui rehausse l'image du livre, le cadre réglementaire souligne au contraire son archaïsme, et le repli de la profession sur elle-même». Aujourd'hui, l'économiste et professeur aux HEC, Germain Belzile, dit plus succinctement qu'il s'agit d'«un combat d'arrière-garde».

Ainsi, on désespère de l'attitude désinvolte ou même hostile qu'adoptent certains intervenants du milieu face aux progrès fulgurants, ailleurs qu'au Québec, du livre numérique.

L'un d'eux déplore, irréfutable argument, qu'«après avoir lu sur tablette, les enfants mettent plus de temps à dormir». On ne connaît même pas exactement la part de marché du livre numérique dans le village gaulois. La seule chose qui importe est de réglementer de façon à garder son prix élevé - ce qui est le moyen le plus sûr de creuser notre retard tout en laissant le champ libre aux libraires virtuels d'outre-frontière.

Bien sûr, lorsque la panique s'emparera à nouveau du monde de l'édition, il sera toujours temps de blâmer... l'argent et les étrangers.

Le ministre de la Culture, Maka Kotto, décidera avant la fin de l'année du sort d'une éventuelle loi dite «du prix unique». On verra alors quelle définition de l'avenir figure dans le dictionnaire du gouvernement du Parti québécois.