Il y aura des chansons, des slogans, des drapeaux. Des ovations debout pour saluer la grandeur nationale et l'exceptionnalisme québécois. Des hourras pour les discours enflammés annonçant un grand soir et des lendemains qui chantent... Depuis des décennies, notre Fête nationale est coulée dans ce moule. Alors, sacrifions de bon coeur à la tradition, à la réjouissance et à l'illusion.

Une fois dégrisés, nous reviendrons à la réalité: le Québec ne se porte pas bien.

On pense tout de suite à la corruption, le mal des élites. La mairie de deux de nos trois plus grandes villes a été vidée par la police. Le prestige de la haute fonction publique, de l'ingénierie civile, du grand entreprenariat, est lourdement entaché. Et ce n'est pas fini: la commission Charbonneau n'est qu'ajournée et les enquêteurs enquêtent toujours.

Pourtant, la corruption en elle-même n'est pas la maladie. Elle en est le symptôme.

Car il y a longtemps que cette société actuellement étêtée par le crime (allégué) vit sans leadership. Qui a été notre dernier grand premier ministre? Le dernier grand maire de Montréal? Notre dernier grand bâtisseur? ... Longtemps aussi qu'elle vit dans le «chacun pour soi» transposé en réflexe corporatiste et costumé en revendication sociale. S'il est une chose que les plus jeunes ont apprise sans effort des plus vieux, c'est celle-là!

Pendant ce temps, le Québec a désappris à faire quoi que ce soit.

Depuis que nous avons diagnostiqué dans cette colonne le cancer de l'immobilisme, en 2004, à combien de projets avons-nous dit non? Pourquoi? Essentiellement à cause de la peur. Le Québécois, cet ex-coureur des bois, a aujourd'hui peur de son ombre. Peur de la nature et de la technologie, du Capital et de l'État, de démanteler et de construire, des fantômes du passé et des incertitudes de l'avenir. Peur de vivre, mais aussi de mourir, en somme!

Alors, faute de faire, le Québécois cause. Beaucoup. Il twitte et facebooke compulsivement. Mais avec de moins en moins de raison, d'élévation, de grâce et de respect. Des splendeurs intellectuelles et discursives qui ont fait depuis des siècles la grandeur de la mère-patrie (Ah, nos racines! Ah, la France!), il n'en retient plus qu'une:

«Casse-toi, pauv' con!»

***

On chante toujours du Félix à la Fête nationale. C'est notre plus grand. Chacun trouve dans son oeuvre de quoi se nourrir - et un univers de beauté. Leclerc dit dans L'An 1, une lettre au fils, une allégorie sur le Québec:

«Je le vois puissant, calme, raisonnable et surtout poli/Car moi, la politesse surtout dans la chicane m'a toujours étonné». Et ensuite: «Il lui reste à étudier, comparer, discuter les pensées dans les livres.../À ne rien accepter de facile, de gratuit». Et encore: «Il exigera juste salaire, la tête haute, mais ne détruira rien. Vandales et braconniers sont des profanateurs».

Et enfin:

«Que la peur de vivre soit rayée à jamais».