Avec la même régularité que la chute des feuilles à l'automne, l'affaire rebondit depuis 20 ans: il est à nouveau question d'une loi visant à favoriser la librairie indépendante en interdisant aux grandes surfaces de vendre le livre à rabais. Le gouvernement Marois en fera l'objet d'une commission parlementaire, en août.

Cela survient au moment où plusieurs libraires abdiquent dans la région de Québec: s'éteint notamment la Librairie générale française, une institution. Le contexte est celui d'une baisse de la popularité du livre, dont les ventes nationales sont passées de 762,6 million$ en 2009 à 678,2 millions en 2012.

Le milieu du livre est donc entré en mode panique, ce qu'il fait régulièrement aussi.

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Trois arguments sont offerts à l'appui d'une loi dite du «prix unique».

Un, cela serait efficace en France... Mais le Québec n'est pas la France et ne jouit pas de son capital historique et culturel. D'ailleurs, est-ce si efficace? Trente ans après la loi Lang, l'État français doit subventionner des librairies fragilisées «dont la situation économique ne cesse de se dégrader» (France Culture, il y a dix jours).

Deux, il faut protéger la chaîne du livre... Or, quelle est-elle, cette chaîne, mis à part ses deux maillons indispensables, l'auteur et le lecteur - plus l'éditeur, dont l'apport intellectuel est important? Dans l'ordre: l'imprimeur, le camionneur, le distributeur, le camionneur, le libraire. Puis, pour les 30% de retours: le camionneur, le recycleur. Au XXIe siècle, cela peut-il durer?

Trois, le libraire indépendant garantit la diversité... Mais qui est au juste son «ennemi» ? Il vend deux fois plus que les grandes surfaces et autres points de vente (212,4 contre 116,2 millions). Et ce sont surtout les chaînes de librairies qui gagnent du terrain (224,8 millions). Quant à la diversité, personne ne pourra plus rivaliser avec la librairie virtuelle. Amazon.com offre plus de 2,5 millions de titres, du roman de gare à l'essai le plus pointu. Chez nous, 100 000 titres en français, dont 10 000 québécois, sont téléchargeables en un instant.

Si le libraire doit survivre, et il survivra, ce sera en faisant appel à ses capacités propres: perfectionner un service à dimension humaine ou se spécialiser, par exemple.

Pendant ce temps, les quatre problèmes majeurs dans la diffusion de l'écrit, que nous avons maintes fois identifiés, demeurent. La sacralisation du livre (Ah, le livre! Ah, la littérature!), agissant comme un repoussoir, en particulier sur les jeunes. Le peu d'enthousiasme pour la distribution numérique, qui nous fait perdre du temps. La rigidité cadavérique de la chaîne du livre, décrite plus haut. Et les lacunes du système d'éducation.

Hausser le prix du livre, en particulier celui qu'achète - mais n'achètera plus - le lecteur occasionnel au supermarché ou à la pharmacie, ne fera qu'ajouter un cinquième item à cette liste.