Le propre des tragédies est de produire des victimes. Et des questions. Or, peu d'événements criminels en ont soulevé autant que l'affaire Ariel Castro le fait aujourd'hui. Il s'agit bien sûr de cet homme de Cleveland accusé d'avoir séquestré pendant des années trois jeunes femmes, ainsi que la fillette de l'une d'elles née en captivité, dans sa petite résidence d'un quartier délabré de la ville.

Des questions de toutes sortes, certainement.

Par exemple, il faudra essayer de comprendre comment ces femmes ont pu pendant aussi longtemps, et sans sombrer dans la folie, vivre la vie qui leur était imposée - cela en dit long sur les prodigieuses capacités d'adaptation de l'être humain. Comprendre aussi comment un homme, fut-il psychopathe, a pu persister ainsi dans l'enfer de domination, de malheur et de violence qu'il a lui-même créé et qu'il a entretenu, jour après jour, sous son propre toit.

Mais aucune question n'est plus importante aux yeux de la population, des femmes en particulier, que celle de savoir si la police locale a agi de façon diligente et professionnelle. Et pas seulement dans ce dossier. Alors même que, selon l'accusation, Castro violait, battait, molestait ses prisonnières, 11 autres femmes des quartiers défavorisés de la ville disparaissaient aussi au cours des années 2000. Elles ont toutes été tuées, puis enterrées à l'arrière d'une maison étonnamment semblable à celle d'Ariel Castro.

Les citoyens de Cleveland l'ont alors baptisée la «maison de l'horreur». Il y en a dorénavant une deuxième.

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En 2009, un agresseur sexuel connu, fiché et théoriquement sous surveillance, Anthony Sowell, était arrêté en rapport avec le meurtre des 11 femmes disparues.

Depuis des mois, il semait des indices incontournables derrière lui, dont le moindre n'était pas l'odeur de putréfaction se dégageant de son jardin et empestant tout le voisinage. Lorsque l'étendue des crimes de Sowell a été connue, on a pris note du fait que ses victimes étaient des femmes noires, pauvres, consommatrices de drogue, vivant des vies irrégulières. Et on s'est demandé si le sort de telles femmes était vraiment important aux yeux des policiers. (Au Canada, la même question s'est posée dans l'affaire Robert Pickton, tueur en série de prostituées miséreuses du quartier chaud de Vancouver.)

Certes, les choses ne se présentent pas de la même façon dans l'affaire Ariel Castro: ses victimes ne sont pas «marquées» au point de vue racial ou social.

Mais des voisins affirment avoir rapporté à la police de graves anomalies constatées dans et autour de sa maison - ce que la police nie pour l'instant. Et l'esprit répugne à reconnaître qu'une petite maison de bois d'un quartier populeux ait pu servir de donjon pendant aussi longtemps sans que, d'une façon ou d'une autre, les autorités finissent par en être alertées.

C'est ce qu'il faudra expliquer.