On le savait déjà depuis le 11 septembre 2001, mais les événements de Boston rappellent à quel point une poignée d'hommes, ou même seulement un ou deux, peuvent paralyser une grande ville moderne, civilisée, aussi sécuritaire et paisible qu'une métropole américaine puisse l'être.

Pendant que les Bostonnais se barricadaient chez eux, hier, l'agglomération est entrée en état de siège; privée de transport en commun, d'écoles et d'universités; ses rues désertes survolées par des hélicos, sillonnées par 9000 policiers et militaires lourdement armés chassant un seul homme, presque un adolescent. Tout cela venant en sus des cinq jours de stupeur et de douleur qui ont suivi la tragédie que l'on sait...

Voilà bien l'inquiétante fragilité de ce qu'il est convenu d'appeler le système.

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L'enquête policière aura été rapide. De sorte qu'on connaît maintenant avec certitude, si ce mot a un sens, les deux hommes qui ont transformé en cauchemar le 117e Marathon de Boston. Ce qu'on ne savait pas au moment d'écrire ces lignes, c'est: pourquoi?

D'origine tchétchène, Tamerlan Tsarnaev (26 ans, mort pendant la nuit aux premières minutes de la chasse à l'homme) et son frère Djokhar, de sept ans son cadet, sont arrivés aux États-Unis il y a environ une décennie comme réfugiés.

Leur personnalité apparaît contradictoire.

L'aîné, Tamerlan, était devenu très dévot et fréquentait, sur internet, des contenus islamistes. Tout comme Djokhar, il paraissait cependant bien intégré à la société. Et si les deux frères savaient bricoler des engins explosifs, ils n'avaient apparemment ni support financier ni plan de fuite. Quant à leur famille, elle est dispersée et disparate. Un oncle établi au Maryland admire les États-Unis et admoneste ses neveux alors que, du Daghestan et du Canada, leur père et une tante disent voir un complot dans l'action de la police américaine.

Certaines informations sont donc compatibles avec des gestes inspirés par l'islamisme, mais ce n'est pas concluant. On ne relève aucune trace d'adhésion des frères Tsarnaev à une autre cause -nationaliste, par exemple, vu l'histoire récente de la Tchétchénie. Ne reste alors que l'hypothèse d'un dérapage intérieur du type de celui qui anime les tueurs de masse, mais rien ne l'établit non plus.

Il y quand même deux certitudes.

Un, l'affaire va alimenter le débat sur l'immigration aux États-Unis: un sénateur républicain l'a déjà évoquée, hier, pour fustiger les «faiblesses du système». Deux, lorsqu'on arrivera au fond des choses, on trouvera la haine, quel que soit l'habillage conceptuel qu'on lui donne, quelles que soient les revendications par lesquels elle s'exprime, quel que soit le niveau de déraison qu'elle inspire.

Et la société américaine n'avait pas besoin de l'attentat de Boston pour se faire rappeler à quel point certains la détestent. Avec ou, plus souvent encore, sans raison.