Les Français ont la mine basse. Ils sont inquiets, irrités, crispés, selon Le Monde. Les riches se réfugient sous des cieux fiscaux plus cléments. Les jeunes cherchent un avenir à Londres ou à Montréal. D'autres rêvent de fermer les frontières à la mondialisation, à l'immigration, à l'invasion culturelle.

Traversant l'un après l'autre nos propres psychodrames, il est facile de voir de qui nous tenons! Nous partageons en effet avec nos cousins le sentiment d'impuissance, la peur du changement, la gouvernance par la rue et la culture du tout-est-pourri... nourrie quotidiennement par la commission Charbonneau.

Ils râlent, nous râlons.

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Mais il existe plusieurs différences.

D'abord, les essayistes français ont identifié le danger depuis des années - au moins depuis le très dur ouvrage de Nicolas Baverez, La France qui tombe, paru il y a dix ans. Aujourd'hui, 90% des Français estiment que l'économie de la France décline et 72%, que la démocratie fonctionne mal (Ipsos, 24 janvier). Seulement 53% conseilleraient à des amis étrangers d'immigrer en France.

Ensuite, la société française se débat avec des problèmes que nous n'avons pas, ou alors à un degré moindre.

Dans les cités de l'Hexagone, celui de l'intégration des immigrants (lire: des communautés musulmanes) est réel et pressant: c'est une réalité qui nous est inconnue. De sorte que les Français, exaspérés et effrayés, jugent à hauteur de 74% que l'islam est intolérant, incompatible avec la société française.

D'autre part, bien avant que François Hollande entre à l'Élysée, la France était déjà à strictement parler socialiste: en 2009, 56% de l'économie y était administrée par l'État (contre 44% au Canada) et ce pourcentage a encore grimpé. Les nouvelles politiques fiscales confiscatoires ont achevé le travail. Si l'exil de quelques célébrités, de Gérard Depardieu à Bernard Arnault, a fait grand bruit, davantage encore se sont poussées discrètement, dont maints artistes et auteurs.

Eux et d'autres fulminent. Et pas seulement en réaction au fisc.

La gauche «pousse vers la médiocrité», écrit Johnny Hallyday dans sa toute récente autobiographie, Dans mes yeux. «Nous sommes étranglés par la rectitude politique», confie Gérard de Villiers au New York Times. On peut se moquer de ceux-là ou encore de Depardieu, mais c'est plus difficile avec Fabrice Luchini, un membre en règle de l'intelligentsia culturelle qui plaide sur divers plateaux de télé: «Ce que je n'aime pas dans la gauche, c'est d'être toujours dans le bon sentiment, de ne pas voir la nature humaine telle qu'elle est». Et récitant Molière: «C'est une folie à nulle autre seconde de vouloir se mêler de corriger le monde»...

Il s'agit d'une autre différence entre les deux sociétés, la française et la nôtre: une telle liberté de parole dans nos milieux artistiques, idéologiquement monolithiques, est impensable.