Le plus important événement culturel de l'année 2012 est passé presque inaperçu. Au cours du premier trimestre, aux États-Unis, les ventes de livres numériques ont dépassé celles des hardcovers (les nouveautés en littérature générale sous reliure) à raison de 282 contre 230 millions de dollars américains. Le format numérique a aussi éclipsé l'iconique livre de poche, dorénavant en chute libre.

En tous formats, genres et catégories, le e-book accaparait en mai dernier 25% des ventes. Pour l'ensemble de l'année, ce sera encore plus élevé.

En Grande-Bretagne, les ventes de livres jeunesse numériques ont triplé au cours des six premiers mois de 2012. Ce qui signifie que, bientôt, la jeune génération va pratiquer la lecture sans avoir fréquenté le livre papier! «Et je ne crois pas que ça ait la moindre importance, pourvu qu'elle lise», dit une éditrice britannique.

Ce point de bascule signale une transition comparable à celle qui a fait succéder l'imprimeur au moine copiste.

À tout le moins chez les Anglo-saxons.

Car, ailleurs, le livre immatériel ne décolle pas aussi vite, cela tenant à un attachement sentimental à l'objet-livre et à la protection étatique artificielle dont il jouit. Le cas le plus patent est celui de l'Allemagne... pays de Gutenberg, il est vrai! Le livre numérique y comptait en 2011 pour à peine 1% des ventes, le format papier étant protégé par une loi du prix unique et par la fiscalité. Les choses sont assez similaires ailleurs en Europe, sauf en Grande-Bretagne, et pour les mêmes raisons. En France (où on parle de «résistance», un terme chargé!), seuls 2% des livres vendus le sont en format numérique.

Au Québec, où l'édition française en mène large, cette proportion est de 4%. Et l'événement de l'année a été le... retour de l'immémoriale revendication d'une loi du prix unique, le principal souci du milieu demeurant celui de garder en état la chaîne traditionnelle du livre.

Ce qui, à terme, est évidemment voué à l'échec.

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Il ne s'agit pas de sacraliser le livre numérique comme on le fait encore avec force trémolos pour le livre papier. Les deux formats n'ont en eux-mêmes aucune valeur particulière, aucune, sinon celle conférée par leur parfaite adaptation à une époque donnée.

En vérité, on semble souvent perdre de vue le but ultime de l'exercice consistant à diffuser de l'écrit.

De la tablette de cire à la tablette électronique en passant par le papier encré, seuls les contenus, c'est-à-dire l'imaginaire et la connaissance, importent vraiment. Et seules deux personnes sont indispensables à l'exercice: l'auteur, le lecteur. Ce qui se trouve entre les deux est malléable à souhait, pourvu que les contenus soient intègres, créatifs, diversifiés, promus et livrés.

L'objet-livre ne disparaîtra pas. Mais, au XXIe siècle, l'imaginaire, la connaissance, l'auteur et le lecteur seront mieux servis par la tablette électronique que par le papier encré.