«Je croyais que ça faisait partie du film», raconte une survivante du massacre d'Aurora, au Colorado, en parlant de sa réaction aux premiers coups de feu entendus dans la salle numéro 9 du multiplex Century 16. On y donnait l'une des premières projections de L'ascension du chevalier noir, dernier acte de la trilogie des Batman de Christopher Nolan.

On en est encore aux hypothèses, bien sûr, quant aux motifs du tueur présumé, James Holmes, un étudiant de 24 ans alors masqué, lourdement armé, entièrement vêtu de noir.

Mais il n'est pas trop tôt pour signaler deux choses assez répugnantes.

La première concerne le gazouillis de la National Rifle Association: «Bonjour tireurs. Bon vendredi! Avez-vous des plans ce week-end?» Mis en ligne puis prestement retiré, hier matin, il n'a fait qu'attirer l'attention sur le culte des armes à feu qu'entretient la NRA et qui apparaît en l'occurrence presque criminel.

Ensuite, la fumée n'était pas encore dissipée à Aurora que, sur le web et même à l'antenne du réseau ABC, des rumeurs associaient Holmes, soit au Tea Party, soit au mouvement Occupy... une funeste injection de petite politique administrée sans preuves et dont on aurait pu se passer.

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Et quand bien même James Holmes aurait conçu un manifeste politique de son cru, qu'est-ce que cela prouverait, au juste?

Le célèbre Unabomber, Theodore Kaczynski, auteur d'une meurtrière série d'attentats, avait rédigé des thèses fustigeant la société techno-industrielle. Timothy McVeigh, cerveau de l'attentat d'Oklahoma City, entretenait une collection élaborée de griefs à l'endroit de Washington. Le Norvégien Anders Breivik, qui a tué 77 personnes il y aura un an, demain, avait bricolé un document de 1500 pages ultranationaliste et xénophobe.

Les théories échafaudées par l'un ou l'autre nous ont-elles enseigné quoi que ce soit? Rien. Leurs discours sont convenus, courants, inintéressants. Et ils tuent rarement dans nos sociétés.

Par contre, les actes de Kaczynski, de McVeigh, de Breivik et présumément de Holmes portent en eux-mêmes un message. Il ne concerne pas la société, mais l'être humain; ne relève pas de la sociologie, mais de la psychologie. Et il tient en ceci: le mal à l'état pur existe, comme nous l'avons souvent noté ici. Et les raisons pour lesquelles un individu bascule de ce côté demeurent en général obscures - à moins d'un accident de vie décisif et identifiable.

Pour les familles des morts d'Aurora, pour les blessés, pour qui a été témoin du carnage, l'horreur est palpable et indélébile. Pour les autres, l'horreur, c'est de savoir que des événements semblables se produiront encore, quelles que soient les précautions prises - et il faut en prendre - pour les empêcher.

La seule consolation réside dans le fait que la bonté et la grandeur d'âme existent aussi. Et qu'elles se manifestent beaucoup plus souvent.