Faites le test. À l'occasion d'une réunion entre collègues ou d'un dîner entre amis, mixte si possible, abordez le sujet de la violence qui peut être exercée sur un homme par sa conjointe. Le sujet de l'homme battu.

En général, cela provoque deux réactions. La première, instinctive, est le fou rire entrecoupé d'évocations de clichés burlesques - rouleau à pâte et mégère! - que le théâtre populaire a de tout temps exploités. Une fois les rires éteints, une seconde réaction suivra. «Pôôôvres hommes!» s'exclamera fatalement quelqu'un en y mettant le sarcasme nécessaire pour bien faire comprendre que le sujet est hors d'ordre. Qu'il est indécent pour un homme de se plaindre.

Ce petit jeu de société aidera à comprendre certaines des raisons expliquant que les accusations criminelles déposées contre des femmes au sujet des actes de violence conjugale soient si rares.

C'est pourtant ce qui s'est produit, il y a deux jours, dans un contexte faisant en sorte que l'affaire a eu un certain retentissement.

L'accusée est en effet une avocate, Claudia Carbonneau, qui avait été chargée de la poursuite au procès du Dr Guy Turcotte. Sa victime présumée est un policier municipal contre qui la procureure aurait notamment exercé des voies de fait ainsi qu'une agression armée.

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Qu'un homme travaillant dans le milieu policier (lequel traîne derrière lui, à tort ou à raison, une indestructible réputation de machisme) ait porté une telle plainte est en soi étonnant. D'autant plus que la disparité entre la violence conjugale réelle et sa dénonciation aux autorités est très grande, en particulier chez les victimes de sexe masculin.

En 2009*, presque autant d'hommes que de femmes (6,0 contre 6,4%) étant en relation avec un conjoint présent ou passé ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale au cours des cinq années précédentes, au Canada. Les gestes d'agression contre les femmes sont cependant plus graves: au Québec, 10 des 13 décès survenus dans ce contexte en 2010 étaient des femmes (selon la Sécurité publique du Québec).

Hormis les cas de meurtre, forcément signalés, 23% des femmes victimes disent avoir alerté la police après avoir été agressées. Mais seulement 7% des hommes l'ont fait.

De même, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à chercher de l'aide que les hommes, que ce soit auprès de la famille et des amis, ou auprès de ressources officielles. Dans ce dernier cas, selon Statistique Canada, elles seules en trouvent... pour la bonne raison qu'il n'existe à peu près pas de ressources destinées aux hommes victimes de violence conjugale.

Cette situation a été maintes fois dénoncée. Mais cela aussi est hors d'ordre, apparemment.

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*2009 est la plus récente année où Statistique Canada a mené une Enquête sociale générale (ESG), effectuée tous les cinq ans. Les chiffres cités concernent uniquement les actes de violence répertoriés au Code criminel.