Subitement, tout est devenu politique. Le cégep et l'université. La rue, évidemment. Les places publiques, les parcs et le métro. Le Grand Prix, le Festival Juste pour rire, l'humour lui-même, les artistes, la culture en général. Les casseroles, les pandas, les bananes... et le bicarbonate de soude!

Tout est politique.

C'est-à-dire que le politique est parvenu à s'insérer dans le moindre interstice de la vie quotidienne. Il divise la société - et parfois même les familles, comme aux temps référendaires. Il transforme les relations humaines ordinaires en relations de pouvoir, par définition fondées sur l'antagonisme et la lutte. Sa logique interne conduit inéluctablement à simplifier toujours davantage le discours et à radicaliser toujours davantage l'action.

La fin justifie les moyens, à la guerre comme à la guerre, il faut ce qu'il faut... toute cette sorte de choses.

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«Tout est politique», c'était un des slogans de Mai 68. Celui qui a été le plus lourd de conséquences: voyez l'effet produit aujourd'hui autour du panda anarchiste et de la banane rebelle!

Le discours des étudiants, d'abord fondé sur une argumentation de nature économique relativement sophistiquée, a graduellement cédé le terrain à la novlangue anticapitaliste, extraordinairement simpliste, qui nous est assénée depuis un siècle, mais que chaque génération croit avoir inventée. L'action des étudiants, à l'origine pacifique, imaginative et même teintée d'une pointe d'humour, a été petit à petit phagocytée par le radicalisme du Black Bloc, de la CLAC, d'autres groupuscules plus ou moins obscurs.

Le reste vient avec. Le romantisme révolutionnaire, qui séduit tant d'adultes pourtant intelligents. Le manichéisme. La tentation totalitaire. L'appel à la censure. Le langage ordurier. La négation de la sphère privée, apolitique, de la vie des gens.

Cette dernière application du «tout est politique» n'est pas la moins dévastatrice: elle est un outil d'asservissement.

Pour saboter le métro, il faut d'abord nier que, le matin, un jour de semaine, l'individu qui utilise les transports en commun n'est pas à ce moment précis un être politique, mais un travailleur. Transformer soir après soir le centre-ville en champ de bataille consiste à dépouiller le résident de l'une de ses identités, celle de citoyen urbain s'attendant à jouir paisiblement du milieu de vie qu'il a choisi. Lorsqu'on menace un événement festif ou culturel, on s'en prend à l'animal social et au consommateur de culture, qui sont des identités essentielles, non politiques, de tout être humain.

Enfin, sommer la population de prendre parti par tous les moyens, y compris violents, que justifie la prémisse du «tout est politique» est un viol du droit le plus fondamental, peut-être, que possède tout individu. Celui d'être laissé seul.

En paix.

À l'abri, lorsqu'il le désire, de la chosification politique.