Horrifié? C'est certainement le premier mot qui vient à l'esprit. Mais, à lui seul, il ne décrit qu'une fraction des émotions que chacun ressent en prenant connaissance du mal à l'état pur qui s'affiche, disponible à tous, sur le web. Car c'est là, notamment, que conduit l'affaire Magnotta, l'homme soupçonné d'un meurtre sadique et dont la vie, parfois effrayante de cruauté, est dévoilée bribe par bribe depuis quelques jours.

L'horreur est une chose, donc.

Puis il y a la prise de conscience renouvelée, terrifiante, du fait que ce mal, ce sadisme, cette cruauté ne sont pas sécrétés par des esprits extra-terrestres. Mais par le cerveau d'un de nos semblables.

«Tout ce qui peut être fait à un être humain par un autre l'a été», écrit un expert international en matière de sécurité, Gavin de Becker (dans La Peur qui vous sauve). Il n'y a plus de façons de torturer ou de tuer son prochain - ou un animal - qui restent à être inventées... jusqu'au jour où une avancée technologique ouvrira de nouvelles avenues à l'expression de la sauvagerie la plus démente.

Enfin, pour désespérer, il y a l'internet.

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On ne pourra pas débrancher le réseau. Non seulement la société cesserait-elle instantanément de fonctionner, mais l'humanité y perdrait ce qui est aussi la plus magnifique extension de son cerveau, de sa mémoire et de sa culture.

En pratique, on ne pourra pas non plus nettoyer les recoins sombres du net où l'abject se fait un nid. Une loi n'y suffirait pas. Même illégale, la pornographie juvénile survit dans l'espace virtuel, comme le démontrent les arrestations régulières en cette matière. Les formes aggravées de racisme et plus généralement de haine collective, ou les incitations au meurtre et à l'attentat, ou les «recettes» d'engins de mort... tout cela pullule sur le web.

Il y avait jadis une distribution confidentielle de snuff movies, ces films montrant des scènes réelles de torture et d'assassinat. Il existe aujourd'hui l'accès en un clic à des sites gore, comme celui qui a logé la désormais célèbre vidéo attribuée à Luka Rocco Magnotta.

Cela nous ramène à l'histoire de l'humanité de son émergence jusqu'à la fin du Moyen Âge, tout au cours de laquelle le peuple était invité à se délecter des supplices et des mises à mort les plus sordides.

Dans sa monumentale étude sur la violence (The Better Angels of Our Nature, non traduit en français), Steven Pinker analyse comment ces coutumes barbares s'éteignirent graduellement dans les sociétés en évolution. Or, ce ne fut pas surtout par la loi. Mais par une conscience croissante de la dignité de l'homme et de sa vulnérabilité à la souffrance - ce dont les psychopathes demeurent notoirement dépourvus.

Il faut poursuivre cette longue marche. Il faut affermir encore cette foi en la dignité humaine et l'appliquer au monde virtuel. Il faut refuser de fréquenter les sites gore, les dénoncer, les mettre au ban.